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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

Recherche et Pratiques réflexives



Le raisonnement géographique au prisme des programmes scolaires


 Caroline Leininger-Frézal

Dans le cadre du groupe de recherche-action CAPE/Irem de Paris Diderot Pensée spatiale, nous avons analysé les programmes scolaires des deux dernières décennies. Il s’agit d’identifier comment les programmes définissent et conçoivent le raisonnement dans un enseignement de géographie, du primaire aux lycées généraux, technologiques et professionnels. Nous avons analysé les programmes de cycle 2, cycle 3, de collège et de lycées généraux, technologiques et professionnels depuis 1995. Nous avons relevé dans ces textes les passages qui exposent ou explicitent la ou les démarches à suivre en géographie. Nous ne nous sommes pas limités au champ lexical du raisonnement qui est absent de certains programmes notamment en primaire.

Le raisonnement au cœur des nouveaux programmes scolaires

Les nouveaux programmes de primaire et du collège (BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015) mettent le raisonnement au cœur des apprentissages visés en histoire-géographie. Dans le projet initial de ce texte, qui a été soumis à la consultation, le raisonnement était défini comme la résolution « d’un problème, en choisissant une démarche, en mobilisant des procédures, des connaissances et des ressources documentaires, proposer une solution, la justifier et en rendre compte. » Cette définition structurée autour de la notion de tâche complexe était très discutable.

En histoire-géographie, les études de cas ou les situations analysés ne sont pas des situations problèmes à proprement parler mais des situations problématiques (Gérin-Grataloup, 1997; Le Roux, 1995). La différence découle de la nature du problème en jeu dans la situation d’enseignement apprentissage. La situation-problème repose sur un obstacle cognitif que l'élève doit dépasser pour réaliser l'apprentissage visé. Les situations d'enseignement apprentissage en histoire-géographie ne sont pas construites ainsi mais sont structurées autour de problématiques qui sont sociétales : comment gérer les risques ? Comment vivent des sociétés dans un environnement à fortes contraintes ? etc. (Leininger-Frézal, 2015). Par conséquent, il est bien difficile de demander aux élèves de « trouver une solution ». D’une part les problèmes dépassent largement la compétence des élèves. Peut-on sérieusement leur demander de trouver une solution aux changements climatiques ? D’autre part, les situations problématiques soulèvent des questions socialement vives (Legardez & Simmoneaux, 2006) qui n’ont de solutions toutes faites.

La définition du raisonnement a été partiellement revue dans la version définitive du texte. La référence aux tâches complexes a disparu. Le terme est même presque absent du nouveau socle de connaissances, de compétences et de culture (BO n°17 du 23 avril 2015) (une occurrence en introduction). Seule la partie affichée au départ comme « composante de la compétence » raisonner, a été conservée. Les programmes de cycle 3 et 4 en histoire et géographie visent désormais à « raisonner, justifier une démarche et les choix effectués », ce qui se décline comme le montre le tableau ci-dessous.

La compétence raisonner dans les nouveaux programmes du Primaire et du Collège (2015)

Cycle 3
Cycle 4

Raisonner, justifier une démarche et les choix effectués
» Poser des questions, se poser des questions. 
» Formuler des hypothèses.
» Vérifier.
» Justifier.

Domaine du socle : 1, 2




Raisonner, justifier une démarche et les choix effectués
» Poser des questions, se poser des questions à propos de situations historiques ou/et géographiques.
» Construire des hypothèses d’interprétation de phénomènes historiques ou géographiques.
» Vérifier des données et des sources.
» Justifier une démarche, une interprétation.

Domaine du socle : 1, 2



Le raisonnement était déjà présent dans les derniers programmes du lycée général  et technologique (BO spécial n°9 du 30 septembre 2010 ; BO n°8 du 21 février 2013. BO spécial n°8 du 13 octobre 2011) et dans les précédents de 2002 et 1995 (En savoir plus sur le raisonnement au lycée général et technologique). Le même constat s’impose en lycée professionnel  où déjà dans les programmes de 1995 visaient à faire acquérir aux élèves « la maitrise des démarches intellectuelles » (En savoir plus sur le raisonnement au lycée professionnel). Le raisonnement occupe en revanche une place nouvelle en primaire et au collège.

Une rupture par rapport aux anciens programmes de primaire et collège ?

Le raisonnement comme finalité de la géographie à l’école primaire est relativement nouveau. Le terme n’apparaît pas dans les programmes du primaire de 1995. Il n'apparaît  qu’une seule fois dans les programmes de 2002 en cycle 2 dans la partie découverte du monde qui recouvre d’autres champs disciplinaires que la géographie (histoire, sciences du vivant, sciences physiques). Les programmes sont centrés sur une démarche qui structure les séquences en trois temps : la découverte, l’investigation et la restitution (en savoir plus sur le raisonnement à l'école primaire). Cette démarche « réfléchie » (2002) est moins cadrée que celle proposée par le programme de 2015. Il s’agit d'amener l’élève à construire la charge de la preuve pour répondre aux questions posées dans une démarche qui est transposée du raisonnement hypothético-déductif. Il y a en revanche une rupture forte avec les programmes de 2008 centrés sur des contenus à apprendre dans une perspective transmissive.

Au collège, la rupture se produit en 2008 et non en 2015. Auparavant, les programmes sont  centrés sur des contenus à enseigner (Tutiaux-Guillon, 2004). La mémorisation prime alors sur le raisonnement et l’exposition des savoirs sur l’apprentissage. A partir de 2008 et l’ancrage des programmes scolaires au socle commun de connaissances et de compétences, les programmes sont formulés en termes de capacités, connaissances et attitudes. La démarche consiste à situer, localiser, décrire et expliquer. Il ne s’agit plus de montrer un raisonnement aux élèves mais de les initier à raisonner (en savoir plus sur le raisonnement au collège). Le raisonnement a donc une place renouvelée dans les programmes de géographie de 2015. Il s’agit d’une évolution plus qu’une révolution, qui s’explique par les vertus conférées au raisonnement en géographie.


Les vertus du raisonnement

Les programmes scolaires construisent un discours de justification autour de la place du raisonnement en géographie à l’école. Trois arguments sont centraux.
  • Le raisonnement permet de donner du sens aux apprentissages pour les élèves.
C’est la démarche dans laquelle se construit le raisonnement qui donne sens aux apprentissages. Il s’agit d’analyser une situation géographique problématisée au moyen d’un corpus documentaire ou d’outils numériques afin de construire une réponse à la question soulevée en amont. Cette problématique est transposée de la géographie savante ou de la société (Verret, 1975 ; Chevallard, 1991). Elle assure la cohérence de la séance et/ou de la séquence d’enseignement. La problématisation des situations d’enseignement- apprentissage est une pratique ordinaire qui s’est imposée dans les pratiques enseignantes dans les années 1990.
  • Le raisonnement permet de développer l’esprit critique.
Les programmes affichent régulièrement le développement de l’esprit critique comme une finalité. Il s’agit d’abord et avant tout de contextualiser et critiquer les documents analysés et les informations qu’ils contiennent. Cette finalité critique n’est pas nouvelle. C’est un des piliers de la géographie scolaire (Audigier, 1996). L’esprit critique dans la perspective française ne s’inscrit pas dans le champ de la théorie critique. Il ne s’agit pas de déconstruire les réalités qui posent problème à la société dans laquelle nous vivons. Les savoirs enseignés, sont encore très largement des résultats, réalistes, consensuels et a-politiques (op.cit). L’apprentissage de l’esprit critique s’articule avec une autre finalité disciplinaire : l’éducation à la citoyenneté.
  • Le raisonnement est destiné à comprendre le monde et à s’insérer dans la société. 
Le raisonnement en géographie vise à permettre aux élèves de cerner le monde dans lequel ils vivent en vue d’y prendre part une fois adulte. 
Le raisonnement tel qu’il est pensé par les programmes en géographie n’a pas de justification disciplinaire, ce qui explique que ce soit un raisonnement en géographie plus qu’un raisonnement géographique.
Un raisonnement en géographie, plus qu’un raisonnement géographique

Gérard Molines (1997) et Bernadette Merenne-Schoumaker (2005) proposent des définitions relativement proches du raisonnement. Pour le premier, le raisonnement est « un enchaînement de jugements et d’énoncés (activités psychique et sociale) qui respectent une démarche logique et contraignante (ensemble de règles et de liaisons logique), en vue de valider ou d’infirmer une hypothèse »
(Molines, 1997, p. 347). Pour la seconde, « le raisonnement pourrait être (1) une succession d’opérations, (2) l’établissement de relations entre des faits observés, (3) l’établissement des conséquences » (Mérenne-Schoumaker, 2005, p.121). Ces définitions sont structurées autour de deux éléments communs. Le raisonnement mobilise un ensemble d’opérations qui sont régies par la logique. Ces opérations conduisent à la production d’une chaine causale qui répond à un questionnement initial.
La dimension géographique du raisonnement dépend de la nature des opérations réalisées. Gérard Molines (1997) distingue le raisonnement en géographie du raisonnement géographique. Le premier désigne un enchaînement d’opérations logiques réalisées sur des savoirs géographiques mais dont la nature n’est pas propre à la discipline. Par exemple, prélever des informations de documents, trier, hiérarchiser, critiquer ou construire une classification ne sont pas propres à l’histoire ou à la géographie. Ces opérations logiques sont mobilisées en classe au service de la construction d’un discours géographique. A l’inverse, le raisonnement géographique  est construit d’opérations logiques propres à la discipline.
Le raisonnement géographique a pour caractéristique d’être multi-scalaire : les phénomènes sont analysés à différents niveaux d’échelle. Il est dynamique : il prend en compte l’ensemble des éléments humains et non humains (actants) de la situation ou du phénomène analysé ainsi que leurs interactions. Enfin, le raisonnement géographique prend en compte différentes temporalités.
La démarche proposée en primaire dans les derniers programmes est une démarche qui est transdisciplinaire. En collège et lycée, les programmes semblent privilégier un raisonnement géographique comme en témoigne la répétition des termes d’acteurs (Hardouin, 2014), d’échelles, de dynamiques, etc... Le raisonnement géographique figure parmi les compétences visées aussi bien au collège qu’au lycée. Néanmoins, ces textes ne donnent pas toujours les moyens de le mettre en place. Parmi les obstacles que nous avons pu identifier figurent :
- la démarche qui juxtapose les niveaux d’échelles plus qu’elle ne les articule. Le thème est analysé à une échelle moyenne, souvent par le biais d’un cas ou d’une situation, et dans un second temps, on convoque une échelle plus petite.
- le temps dédié à l’analyse d’un thème, trop limité.
- la fragmentation des programmes en de très nombreux chapitres qui invitent à un compartimentage des savoirs.
- la manière dont les thèmes sont problématisés. En effet, il n’est pas rare que les problématiques soient formulées sans prendre en compte la dimension spatiale des questions étudiées.
Ces difficultés nous amènent à faire l’hypothèse d’un décalage important entre l’esprit des programmes et leur mise en œuvre en classe.

La démarche inductive prédomine

La démarche prescrite est majoritairement inductive. Les expérimentations menées sur la modélisation dans l’enseignement de la géographie ont laissé peu de traces dans les programmes scolaires. La démarche qui prédomine dans la géographie scolaire est inductive et du moins est présentée comme telle. C’est un constat déjà réalisé par Gérard Molines en 1997, il y a déjà 20 ans. Cette démarche repose sur un binôme description/explication qui est encore au cœur de la démarche d’étude de cas ou de situation au collège et aux lycées. C’est aussi sous-tendu dans la démarche prescrite au primaire dans les nouveaux programmes. La prédominance de l’induction est problématique à plusieurs égards.
Tout d’abord, la généralisation de la démarche inductive par le biais de l’étude de cas en collège et lycée exclut d’autres démarches notamment l’hypothético-déduction ou l’usage de modèle pour comprendre une organisation spatiale. Les recherches menées dans les années 2000 ont pourtant montré la richesse de cette démarche (Fontanabona, 2001).
Ensuite, la démarche inductive amène à des généralisations dont la validité est discutable (Molines, 1997). Il est en effet difficile de généraliser à partir de l’analyse d’un ou deux cas. D’ailleurs, le terme de généralisation employée au lycée en seconde après 2002, a été remplacé par celui de contextualisation en collège et mise en perspective en lycée. La montée en théorie est d’autant plus problématique en collège dans le cadre des programmes actuels (2008) que les deux tiers de la séquence sont dédiés à l’étude du cas et que la contextualisation se fait de manière privilégiée par des planisphères. La démarche laisse peu de place à l’analyse des singularités du cas et aux égards à la théorie. Enfin, la démarche inductive questionne le statut du document (op. cit.) qui, étant une source d’information, peut difficilement être critiquée.

Ce que les programmes ne disent pas …
  • Pas de progressivité dans les apprentissages
Les programmes ne proposent pas de progressivité dans l’apprentissage du raisonnement géographique ou du raisonnement en géographie. Du primaire au lycée professionnel, exception faite du lycée général, il s’agit d’initier les élèves.
  • Exclusion des autres modes de raisonnement
Les programmes n’envisagent presque qu’un type de raisonnement, celui dit inductif, et qu’une seule manière de le mener, une analyse de documents. Toutes les autres formes de raisonnement sont passées sous silence, à l’exception de la démarche hypothético- déductive en primaire.


Références bibliographiques
  • Audigier, F. (1996). Recherches de didactiques de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique. Un itinéraire pour contribuer à la construction d’un domaine de recherche. Paris: Université Denis Diderot.
  • Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique: du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : la Pensée sauvage.
  • Fontanabona, J. (2001). Cartes et modèles graphiques : analyse de pratiques en classes de géographie. Paris: INRP.
  • Gérin-Grataloup, A.-M. (1997). Enseigner la géographie autrement : l’expérience anglaise et galloise. L’Information Géographique, 61(1), 24–30.
  • Hardouin, M. (2014). Cartographier des acteurs en géographie scolaire: l’UE, «actrice de la mondialisation». Mappemonde, (113).
  • Legardez, A., & Simmoneaux, L. (2006). L’école à l’épreuve de l’actualité, enseigner les questions vives. ESF.
  • Leininger-Frézal, C. (2012). L’étude de cas : une approche pertinente pour enseigner le développement durable ? Presented at the Colloque internationa de didactique de l’histoire, de la géographie et de l’éducation à la citoyenneté.
  • Leininger-Frézal, C. (2015, mai). Nouveaux programmes scolaires : Géographes, à vos plumes ! Retrieved February 2, 2016, http://didageo.blogspot.fr/2015/05/nouveaux-programmes-scolaires.html
  • Le Roux, A. (1995). Le problème dans l’enseignement de la géographie. L’information Géographique, 5, 209–215.
  • Mérenne-Schoumaker, B. (2005). Didactique de la géographie. Organiser les apprentissages. De Boeck. http://books.google.fr/books?id=0hmHAKo4XcEC&pg=PA6&lpg=PA6&dq=didactique+de+la+g%C3%A9ographie&source=bl&ots=Ihv2NN0w3O&sig=y2KuyjSAjcovPvyybXyJsKPR7Rc&hl=fr&sa=X&ei=iaYET6T6GNK7hAeEsIywDQ&ved=0CFgQ6AEwBzge#v=onepage&q=didactique%20de%20la%20g%C3%A9ographie&f=false
  • Molines, G. (1997). Raisonnements géographiques ou raisonnement en géographie ? In Concepts, modèles, raisonnements, (pp. 346–360). INRP.
  • Tutiaux-Guillon, N. (2004). Les conceptions de l’apprentissage auxquelles se réfèrent les enseignants : un facteur d’inertie disciplinaire ? In Journées d’Etudes de Didactiques de l’histoire, de la géographie. IUFM de Basse-Normandie (Caen - 19-20 octobre 2004). Caen.
  • Verret, M. (1975). Le Temps des études ... Atelier Reproduction des thèses, Université Lille III.

 

Recherche sur les jeux de simulation environnementale ("green games")

En savoir plus

La ville comme objet interdisciplinaire d’apprentissage à l’école primaire. Retour sur expériences



Comment donner du sens aux apprentissages grâce à l'interdisciplinarité au travers de l'objet « ville » ? C’est cette question qui a animé, pendant trois ans (2011-2014), un groupe de recherche dirigé par Magali Hardouin, MCF de géographie à l'ESPE de Bretagne.

Nous remercions Magali Hardouin et l'ensemble des enseignants et formateurs qui ont accepté de publier le fruit de leurs recherches sur le site Didagéo et nous espérons que les productions qui sont présentées dans ce rapport donneront des idées pour des pratiques de classe à l’école primaire. La ville comme objet d’enseignement apparaît en effet comme "un sujet essentiel qui doit ou devrait s’inscrire largement dans l’enseignement de la géographie dès l’école élémentaire. » (Bouchut, 2006). Par cette recherche , les auteurs ont également cherché à pallier la faible part d’enseignement de la géographie en utilisant d’autres disciplines (littérature, musique, théâtre, arts plastiques...). Parmi les activités originales qui sont proposées, il s'agit notamment d'apprendre à écouter la ville, ses ambiances sonores, mais aussi à la percevoir dans sa théâtralité, à la parcourir et à la laisser nous habiter autant qu'on l'habite...


Télécharger les productions du groupe de recherche de l'ESPE de Bretagne