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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

lundi 4 mai 2015

Nouveaux programmes scolaires : Géographes, à vos plumes !


Les premières moutures des nouveaux programmes scolaires du primaire et du collège sont désormais disponibles (à lire ici). Nos collègues historiens se sont déjà largement mobilisés pour commenter et débattre à ce sujet. Vous pouvez lire et/ou entendre :

- l'article du collectif Aggiornamento "Pour une critique constructive des nouveaux programmes d'histoire et de géographie"

- la réaction de l'APHG par le biais d'Hubert Tison interrogé sur i-TV "La réforme du collège : l'histoire en question..."

- la réaction d'Henro Rousso au Huffingtonpost.

- la réaction de Dimitri Casali
  



Que penser de ces nouveaux programmes en géographie ?

Ces nouveaux programmes s'inscrivent dans la lignée des précédents (2008) qui ont marqué une réelle rupture dans la discipline scolaire. Mettant fin à l'enseignement d'un tableau du monde dont l'organigramme était séculaire (Lefort, 1992), les programmes de 2008 ont promu une géographie thématisée et problématisée. Nous ne pouvons que nous réjouir que les programmes en cours de discussion s'inscrivent dans la même lignée.

Globalement, plusieurs avancées sont à souligner.

Une approche par compétences réaliste

Tout d'abord, ces programmes font un lien réel avec le nouveau socle de compétences et de culture, ce qui est cohérent. On peut ne pas être d'accord sur le fond avec une approche par compétences qui appartient à une vision néolibérale de l'éducation, position vers laquelle tend l'auteure de ces lignes. Néanmoins, une fois l'approche par compétences adoptée, il était nécessaire de mettre en cohérence les programmes avec ce socle, ce qui n'avait pas réellement été fait auparavant.

Cibler de manière précise quelques compétences à travailler rend faisable et réaliste une approche par compétences de l'histoire-géographie : se repérer dans le temps et l'espace, comprendre (et analyser en cycle 4) un document, s'informer dans le monde numérique, raisonner, pratiquer différentes langages en histoire et géographie et coopérer et mutualiser. La progression entre le cycle 3 et 4 a été pensée. Plusieurs questions didactiques restent néanmoins en suspens et invitent à la réflexion et au développement de recherches.

Les nouveaux programmes abordent la notion de tâches complexes qui a été définie par Dominique Michaux lors d'un séminaire DGESCO en 2010 comme des "tâche[s] mobilisant des ressources internes (culture, capacités, connaissances, vécu...) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires...). Elle[s font] donc partie intégrante de la notion de compétence." Cette notion est tirée de la didactiques des sciences. Certes, il y a déjà eu des expérimentations comme dans l'Académie de Clermont Ferrand (voir Les TâCos de Thucydide et de Rameau).

Néanmoins, il est nécessaire d'employer la notion de tâche complexe avec prudence car les taches complexes reposent sur des situations-problèmes. Or en sciences humaines et sociales, nous travaillons sur des situations problématiques et non des situations-problèmes qui sont de nature différente. La différence n'est pas que sémantique. (Gérin-Grataloup, Solonel,& Tutiaux-Guillon, 1994; Le Roux, 1995). La situation-problème repose sur un obstacle cognitif que l'élève doit dépasser pour réaliser l'apprentissage visé. En histoire-géographie, les situations d'enseignement apprentissage ne sont pas construites ainsi mais sont structurées autour de problématiques qui sont sociétales : comment gérer les risques ? comment vivent des société dans un environnement à fortes contraintes ? etc. Il est donc nécessaire d'approfondir à ce que sont, ou pourraient être, les tâches complexes en géographie.

Cela soulève aussi la question du raisonnement géographique puisque les programmes de cycle 4 définissent le raisonnement géographique comme le fait de "mener les différentes étapes d'une tâche complexe".

Pour résumer, une avancée réelle certes mais aussi des pistes de recherche à creuser. Au-delà des compétences, les programmes notamment celui de cycle 4 appellent également plusieurs réserves de nature épistémologique.

Des choix épistémologiques discutables

Les grandes thématiques qui structurent les cycles 3 et 4 sont sensiblement les mêmes que précédemment : l'habiter étendu au cycle 3, le développement durable et la mondialisation. Ce sont des questions socialement vives (Legardez & Simmoneaux, 2006) qui agitent notre société et notre discipline. Néanmoins, nous pouvons réitérer sur ce programme les critiques déjà émises dans sa version antérieure, notamment son franco-centrisme en primaire (Roumegous et Clerc, 2008).

Le concept d'habiter étendu à l'ensemble du cycle 3 pose un autre problème. L'habiter invite à analyser les pratiques spatiales des acteurs et la signification qu'ils donnent à des lieux ou à des espaces. Ce concept est le produit de notre culture française d'abord, et plus largement européenne. Il n'a que peu d'échos dans la géographie anglo-saxonne. Que dire alors de l'étude des modes d'habiter dans les villes nord américaines, si ce n'est que c'est une vision européano-centrée (voir franco-centrée) d'espaces non européens ? Nous pourrions contourner le problème épistémologique en considérant qu'il suffit d'étudier les pratiques spatiales des acteurs locaux sans parler d'habiter. C'est une autre difficulté qui surgit : celle des ressources. Il est difficile de trouver des discours d'acteurs ou des textes scientifiques en français permettant d'étudier les pratiques spatiales des acteurs d'espaces non européens et non francophones. Cela conduit souvent les enseignants et les manuels à enseigner l'organisation spatiale des espaces étudiés et non les pratiques des acteurs. C'est le résultat d'une ambiguïté en germes dans le programme de sixième de 2008 et toujours présente dans celui du cycle 3 de 2015.

La notion de développement durable pose une autre ambiguïté. Le développement durable est d'abord et avant tout une théorie politique. Son introduction au sein des programmes scolaires français découle d'un agenda politique international (Orellana et Fauteux, 2000). Que dire alors de l'introduction d'une théorie politique comme clé de lecture du monde ? Cela soulève des interrogations d'ordre éthique et politique, qui vont bien au-delà de la géographie scolaire mais qui méritent d'être pointée (Leininger-Frézal, 2009). Si nous comparons le développement durable à d'autres théories politiques comme le communisme, il y a une vraie différence de traitement entre les deux. D'une côté, nous enseignons le communisme comme un fait historique et une théorie politique alors que nous éduquons au développement durable... La géographie en tant que discipline à l'interface entre les sociétés et leur environnement, n'a pas besoin de convoquer le développement durable pour faire comprendre aux élèves les enjeux sociétaux contemporains.

Nous pouvons donc regretter que sur certains aspects, les programmes de 2015 ne permettent pas de dépasser des difficultés ou ambiguïtés déjà pointées dans sa version antérieure.

Ce texte a pour objectif d'ouvrir le débat parmi la communauté scientifique et éducative et de faire avancer la réflexion. A vos plumes...

Caroline Leininger-Frézal
Maitre de conférences
Université Paris 7
UMR Géographie-cité, équipe E.H.GO


Références citées :

Gérin-Grataloup, A.-M., Solonel, M., & Tutiaux-Guillon, N. (1994). Situations problèmes et situations scolaires en histoire-géographie : les didactiques de l’histoire et de la géographie. Revue Française de Pédagogie, 106, 25–37.

Lefort, I. (1992). La lettre et l’esprit, géographie scolaire et géographie savante en France. Paris: Edition du CNRS.

Legardez, A., & Simmoneaux, L. (2006). L’école à l’épreuve de l’actualité, enseigner les questions vives. ESF.

Leininger-Frézal, C. (2009). Le développement durable et ses enjeux éducatifs. Acteurs, savoirs et territoire. Lumières Lyon 2.

Le Roux, A. (1995). Le problème dans l’enseignement de la géographie. L’information Géographique, 5, 209–215.

Orellana, I. et Fauteux, S. (2000). L’éducation relative à l’environnement à travers les grands moments de son histoire, dans A. Jarnet, B. Jickling, L. Sauvé, A. Wals et P. Clarkin (dir.), Proceedings from an On-Line Colloquium. The Future of Environnemental in a Post-modern World? (p. 13-24). Whitehorse : Yukon College.

Roumegous, M. et Clerc, P. (2008). Le bon sens tout près de chez soi : les projets de programme de géographie pour l’enseignement primaire », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Débats, Les nouveaux programmes dans le primaire, mis en ligne le 03 octobre 2008, consulté le 04 mai 2015. URL : http://cybergeo.revues.org/20383



Lire la contribution de Jean-Pierre Chevalier : Où habite la géographie élémentaire à l'école primaire ?









 

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