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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

samedi 6 janvier 2018

Les usages du geoweb sonore dans l’enseignement de la géographie en classe de seconde : le cas de sorties de terrain en milieu urbain.

CR mémoire master 2 recherche

Jérôme Staub (2014). Les usages du geoweb sonore dans l’enseignement de la géographie en classe de seconde : le cas de sorties de terrain en milieu urbain. Mémoire de Master DCF 2ème année, dir. J.Béziat, Université de Limoges, 235p., en ligne.

Compte-rendu par Sophie Gaujal, janvier 2018

Le mémoire soutenu en 2014 par Jérôme Staub est un mémoire de master recherche. Il s’inscrit dans la continuité d’expérimentations conduites à l’IFE  - ex INRP - au début des années 2010 (voir webographie). Il porte sur l’usage du geoweb sonore en classe de géographie. C’est à sa définition et sa mise en perspective dans le champ de la recherche que Jérôme Staub consacre sa première partie.  Il définit le geoweb comme « une notion plus qu’un objet. » C’est « un géoréférencement direct ou indirect de l’information d’Internet sur la surface terrestre qui permet une correspondance entre le monde informationnel et le monde matériel géophysique [et] une infrastructure informatique permettant de saisir, organiser, requêter l’information sous forme de services Web » (Joliveau, 2014, in Staub, p.3). Quant au géoweb sonore, il consiste à géoréférencer les données sonores de notre environnement, puis à les partager sous la forme de cartes participatives, via les réseaux sociaux. C’est dans cette dimension sonore que repose l’originalité du projet de Jérôme Staub, ainsi que dans son intégration dans la cartographie, là où est ordinairement privilégiée l’approche visuelle. Pour la mettre en œuvre, Jérôme Staub s’appuie sur différents travaux scientifiques autour de la dimension sonore de l’environnement, moins en géographie, qui s’en jusqu’ici peu emparée, que dans des champs connexes, comme la sociologie, l’architecture, l’acoustique. En géographie scolaire, il mobilise des outils connus quoique marginaux dans les pratiques : la sortie de terrain et l’utilisation d’outils numériques mobiles (tablettes, smartphones), autrement dit un « mobile learning » alors peu connu en France même si depuis, l’utilisation de jeux mobiles sur le terrain, comme Pokemon Go en 2016, l’a popularisé.

Jérome Staub a expérimenté ce projet de geoweb sonore à trois reprises avec des classes de seconde, de 2010 à 2013. Il a consisté, en milieu urbain et via une sortie sur le terrain à proximité de l’établissement scolaire, à écouter, enregistrer puis cartographier en classe l’environnement sonore, puis à rapprocher ce travail de cartes sonores produites par des experts. L’expérimentation la plus aboutie est celle menée en 2012-2013, que Jérôme Staub a baptisée du nom d’Acoustikom. Elle a consisté à diviser la classe en groupes de travail, chacun expertisant un quartier ; au sein de chaque groupe, chaque élève avait une mission : le collecteur de bruit, l’écouteur de bruit, le collecteur de sons, l’écouteur de sons, le photographe.

Après avoir décrit ces expérimentations et en avoir présenté les objectifs, Jérôme Staub poursuit dans une deuxième partie en caractérisant les concepts qu’elles mobilisent : ainsi, la terminologie de milieu sonore, voire d’ambiance sonore est plus adaptée que celle de paysage sonore, dont la terminologie, utilisée par des artistes comme Murray Schäfer, est moins opératoire en géographie. En effet, elle limite la perception à sa dimension visuelle d’une part, et elle ne permet pas de restituer la dimension dynamique de l’espace d’autre part. Quoiqu’encore peu développée en géographie, la dimension sonore de l’espace est un champ de recherche qui se développe, « à la croisée des chemins » (p.51) et qui se dote d’outils méthodologiques pour cartographier les ambiances sonores : les premières cartographies sonores datent des années 1920 (Gräno) ; dans les années 1970, le projet a été relancé par Murray Schäfer. Depuis les années 1990, les outils numériques ont permis le développement de SIG, d’abord pour collecter des banques de données sonores, avant de passer à un Geoweb 2.0 où l’utilisateur participe et collabore au contenu, via des cartes participatives, comme Cartophonies, mise en place par le laboratoire du Cresson. Enfin, cette partie est l’occasion d’une mise au point très claire sur le modèle d’apprentissage mobilisé par Jérôme Staub pour développer ses expérimentations ; sont ainsi présentées successivement l’approche socio-constructiviste, la théorie des situations didactiques, le triangle pédagogique et ses variantes, le carré pédagogique et le losange didactique, avant de mobiliser la notion de composition didactique, qui permet de penser ensemble ces différentes approches.

Les parties suivantes permettent d’expliciter la posture mobilisée par Jérôme Staub dans cette recherche, celle d’un praticien-chercheur, sa méthodologue de recherche, les perspectives qu’ouvrent les expérimentations qu’il a menées avec sa classe de seconde. Un passage particulièrement intéressant (p.153 sq) est celui où Jérôme Staub s’interroge sur la compréhension qu’ont les élèves de l’intérêt de ce genre d’activité : il observe ainsi que la première année, « l’entrée dans l’activité a posé peu de problèmes la première année, la dévolution s’est faite par l’attrait suscité d’une part par la perspective d’une sortie de terrain » (p.153). L’année suivante, « la dévolution a été beaucoup moins évidente du fait de la connaissance des élèves de ce type d’expérimentations et de ses finalités. La question posée avec méfiance en début de chapitre a été « Mais, Monsieur, pourquoi le son ? » (p.154). « L’enseignant a pu faire entrer les élèves dans l’activité, en leur proposant une mise en situation immédiate par l’analyse sonore de l’espace classe et en mettant l’accent sur la dimension citoyenne et civique des rapports au sonore dans la vie quotidienne. Mais ces deux argumentations sont apparues par la suite à l’enseignant comme des pirouettes pédagogiques qui ne pouvaient continuer à fonctionner l’année d’après ».
La troisième année,
« la dévolution s’est organisée autour d’une tentative de simulation en scénarisant les activités. Les élèves, grâce à des exercices préparatoires, devenaient des employés d’une société d’expertise sonore. Leur première mission était de travailler pour la ville de Limoges afin de procéder à une évaluation des ambiances sonores dans des espaces délimités de la ville, puis de proposer des aménagements. »
La mobilisation d’un jeu de simulation a donné à Jérôme Staub une grille de lecture, en l’analysant sous le prisme de l’authenticité (« une simulation est une simulation si elle est perçue comme authentique par les élèves »), et autour de trois critères : le réalisme (la ressemblance supposée avec une référence de la vraie vie), la cohérence (perçue dans les règles et les situations proposées), la pertinence (utilité perçue par rapport aux objectifs d’apprentissage).
Et il poursuit :
« De ces trois critères, c’est celui de la cohérence qui est apparu le plus fort dans les expérimentations. […] La dimension réaliste est à nuancer : lorsqu’ils sont interrogés sur la manière de définir leurs travaux, ils considèrent que ce travail reste amateur et ne peut pas être diffusé auprès de la mairie par exemple. Si l'on s'en tient à la simulation mise en place stricto-sensu, le critère de réalisme est faible, les élèves ne se considérant pas comme des experts et leurs travaux ne pouvant aider la mairie à aménager ces ambiances sonores. Cependant, si l’on considère moins le scénario de la simulation que la simulation en elle-même, de manière globale, le niveau de réalisme est fort, dans la mesure où l’on peut considérer que les élèves sont entrés pleinement dans la simulation puisqu’ils ont été capables pour la plupart de porter un regard réflexif sur leurs travaux et de les juger peu pertinent pour la mairie. Le réalisme peut se lire ici à deux échelles différentes, nuançant sensiblement la force de ce critère. Quant à la pertinence, c’est certainement l’élément le plus faible de l’authenticité de la simulation dans la mesure où cette dernière vient se heurter à la structure institutionnelle de l’étude de cas et de l’organisation du chapitre sur les villes durables. En effet, l’habitude de travailler avec une étude de cas fondé sur des documents visuels (carte, photographie, graphisme, vidéo, texte) accompagné d’un questionnaire visant à l’écriture d’une synthèse contraste avec la démarche proposée dans ces expérimentations. C’est cette habitude forgée tout au long de la scolarité dans le secondaire (les études de cas débutent en classe de 6ème et sont présentes dans tous les programmes du collège) qui lui fournit une grande crédibilité quant à sa capacité à faire apprendre. A contrario, les multiples dérogations faites à ce modèle d’études de cas (travail sur le son, capture et construction des données, construction d’une carte en ligne à partir de ces données…) dans le cadre de ces expérimentations, les rendent moins pertinentes aux yeux des élèves. »

Pour conclure, ce mémoire de master 2 est intéressant à plusieurs titres : tout d’abord, il s’inscrit dans le contexte des recherches initiées en géographie culturelle française sur la dimension sensible de l’espace par Anne Volvey qui soutient sa thèse en 2003, suivie par Elise Olmedo, dont le séminaire de recherche interdisciplinaire sur le sensible est lancé à la rentrée 2012 (thèse soutenue en 2015). Ces recherches trouvent également un écho en géographie scolaire, avec les recherches menées sur la sortie de terrain « sensible » par Médéric Briand (thèse soutenue en 2014), ou sur les pratiques artistiques, géo-photographie, performance ou cartographie sensible (Gaujal, 2016). En privilégiant la dimension sonore, Jérôme Staub initie un nouveau champ encore, à la marge des pratiques ordinaires en géographie scolaire, mais qu’il ancre par le biais du numérique (le geoweb) à un autre champ de recherche encore, autour des usages du numérique en géographie, et sur lequel travaille  notamment Sylvain Genevois (thèse soutenue en 2008). Par ailleurs, ce mémoire rend compte d’un itinéraire de recherche, celui d’un praticien qui mène une recherche sur sa propre pratique, soit un praticien-chercheur. Cette dimension réflexive apparaît plus nettement à partir de la troisième partie, et imprègne toute la suite du texte. Enfin, ce mémoire contribue à nourrir le débat sur les apports du numérique en géographie et les débats ou renouvellement autour de la « néo-géographie » (entendre par là « les usages amateurs de la cartographie numérique, notamment le globe virtuel », cf. l’Agence des Usages des TICE).

Jérôme Staub ne compte pas s’en tenir là cependant et c’est tant mieux, tant le mémoire ouvre de pistes que l’on souhaiterait voir davantage développées : si les expérimentations présentées en classe de seconde stimulent l’imagination du professeur qui en perçoit toute la richesse et l’intérêt, on souhaiterait en savoir davantage sur les protocoles mis en place et sur les résultats trouvés par les élèves, voire les écouter, via un support numérique. De même, on serait curieux de voir comment l’expérience peut se transposer à d’autres classes, à d’autres niveaux. Nul doute que la thèse en préparation depuis 2015 à l’université de Lyon, sous la direction de Thierry Joliveau, et dont l’intitulé provisoire est « éduquer avec des jeux sonores géolocalisés », apportera quelques réponses à ces questions, depuis une autre posture : non plus celle de l’enseignant, mais celle de responsable éditorial au Canopé de Limoges.

Pour aller plus loin

Joliveau, Thiery, 2010, le geoweb pour les nuls, Monde geonumérique, URL https://mondegeonumerique.wordpress.com/2010/06/24/le-geoweb-pour-les-nuls/

Staub, Jérôme, 2014, « Néogéographie, globes virtuels et apprentissages » in L’Agence des Usages, intégrer le numérique dans la pratique, URL https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/neogeographie-globes-virtuels-et-apprentissages.html

Groupe de travail IFE, Milieux sonores et mobilité, URL http://eductice.ens-lyon.fr/EducTice/recherche/geomatique/milieux-sonores-et-mobilites

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