CR mémoire master 2 recherche
Jérôme Staub (2014). Les usages du geoweb
sonore dans l’enseignement de la géographie en classe de seconde : le cas de
sorties de terrain en milieu urbain. Mémoire de Master DCF 2ème année, dir.
J.Béziat, Université de Limoges, 235p., en ligne.
Compte-rendu par Sophie Gaujal, janvier 2018
Le mémoire soutenu en 2014 par Jérôme Staub
est un mémoire de master recherche. Il s’inscrit dans la continuité d’expérimentations
conduites à l’IFE - ex INRP - au début
des années 2010 (voir webographie). Il porte sur l’usage du geoweb sonore en
classe de géographie. C’est à sa définition et sa mise en perspective dans le
champ de la recherche que Jérôme Staub consacre sa première partie. Il définit le geoweb comme « une notion plus qu’un
objet. » C’est « un géoréférencement direct ou indirect de
l’information d’Internet sur la surface terrestre qui permet une correspondance
entre le monde informationnel et le monde matériel géophysique [et] une
infrastructure informatique permettant de saisir, organiser, requêter l’information
sous forme de services Web » (Joliveau, 2014, in Staub, p.3). Quant au géoweb
sonore, il consiste à géoréférencer les données sonores de notre environnement,
puis à les partager sous la forme de cartes participatives, via les réseaux
sociaux. C’est dans cette dimension sonore que repose l’originalité du projet de
Jérôme Staub, ainsi que dans son intégration dans la cartographie, là où est ordinairement
privilégiée l’approche visuelle. Pour la mettre en œuvre, Jérôme Staub s’appuie
sur différents travaux scientifiques autour de la dimension sonore de l’environnement,
moins en géographie, qui s’en jusqu’ici peu emparée, que dans des champs
connexes, comme la sociologie, l’architecture, l’acoustique. En géographie
scolaire, il mobilise des outils connus quoique marginaux dans les pratiques :
la sortie de terrain et l’utilisation d’outils numériques mobiles (tablettes,
smartphones), autrement dit un « mobile learning » alors peu connu en
France même si depuis, l’utilisation de jeux mobiles sur le terrain, comme Pokemon
Go en 2016, l’a popularisé.
Jérome Staub a expérimenté ce projet de
geoweb sonore à trois reprises avec des classes de seconde, de 2010 à 2013. Il
a consisté, en milieu urbain et via une sortie sur le terrain à proximité de
l’établissement scolaire, à écouter, enregistrer puis cartographier en classe l’environnement
sonore, puis à rapprocher ce travail de cartes sonores produites par des
experts. L’expérimentation la plus aboutie est celle menée en 2012-2013, que
Jérôme Staub a baptisée du nom d’Acoustikom. Elle a consisté à diviser la
classe en groupes de travail, chacun expertisant un quartier ; au sein de
chaque groupe, chaque élève avait une mission : le collecteur de bruit,
l’écouteur de bruit, le collecteur de sons, l’écouteur de sons, le photographe.
Après avoir décrit ces expérimentations et en
avoir présenté les objectifs, Jérôme Staub poursuit dans une deuxième partie en
caractérisant les concepts qu’elles mobilisent : ainsi, la terminologie de
milieu sonore, voire d’ambiance sonore est plus adaptée que celle de paysage
sonore, dont la terminologie, utilisée par des artistes comme Murray Schäfer,
est moins opératoire en géographie. En effet, elle limite la perception à sa
dimension visuelle d’une part, et elle ne permet pas de restituer la dimension
dynamique de l’espace d’autre part. Quoiqu’encore peu développée en géographie,
la dimension sonore de l’espace est un champ de recherche qui se développe,
« à la croisée des chemins » (p.51) et qui se dote d’outils
méthodologiques pour cartographier les ambiances sonores : les premières
cartographies sonores datent des années 1920 (Gräno) ; dans les années
1970, le projet a été relancé par Murray Schäfer. Depuis les années 1990, les
outils numériques ont permis le développement de SIG, d’abord pour collecter
des banques de données sonores, avant de passer à un Geoweb 2.0 où
l’utilisateur participe et collabore au contenu, via des cartes participatives,
comme Cartophonies, mise en place par le laboratoire du Cresson. Enfin, cette
partie est l’occasion d’une mise au point très claire sur le modèle
d’apprentissage mobilisé par Jérôme Staub pour développer ses
expérimentations ; sont ainsi présentées successivement l’approche
socio-constructiviste, la théorie des situations didactiques, le triangle
pédagogique et ses variantes, le carré pédagogique et le losange didactique,
avant de mobiliser la notion de composition didactique, qui permet de penser
ensemble ces différentes approches.
Les parties suivantes permettent d’expliciter
la posture mobilisée par Jérôme Staub dans cette recherche, celle d’un
praticien-chercheur, sa méthodologue de recherche, les perspectives qu’ouvrent
les expérimentations qu’il a menées avec sa classe de seconde. Un passage
particulièrement intéressant (p.153 sq) est celui où Jérôme Staub s’interroge
sur la compréhension qu’ont les élèves de l’intérêt de ce genre
d’activité : il observe ainsi que la première année, « l’entrée dans
l’activité a posé peu de problèmes la première année, la dévolution s’est faite
par l’attrait suscité d’une part par la perspective d’une sortie de
terrain » (p.153). L’année suivante, « la dévolution a été beaucoup
moins évidente du fait de la connaissance des élèves de ce type
d’expérimentations et de ses finalités. La question posée avec méfiance en
début de chapitre a été « Mais, Monsieur, pourquoi le son ? » (p.154). « L’enseignant
a pu faire entrer les élèves dans l’activité, en leur proposant une mise en
situation immédiate par l’analyse sonore de l’espace classe et en mettant
l’accent sur la dimension citoyenne et civique des rapports au sonore dans la
vie quotidienne. Mais ces deux argumentations sont apparues par la suite à
l’enseignant comme des pirouettes pédagogiques qui ne pouvaient continuer à
fonctionner l’année d’après ».
La troisième année,
« la dévolution s’est organisée autour
d’une tentative de simulation en scénarisant les activités. Les élèves, grâce à
des exercices préparatoires, devenaient des employés d’une société d’expertise
sonore. Leur première mission était de travailler pour la ville de Limoges afin
de procéder à une évaluation des ambiances sonores dans des espaces délimités
de la ville, puis de proposer des aménagements. »
La mobilisation d’un jeu de simulation a
donné à Jérôme Staub une grille de lecture, en l’analysant sous le prisme de
l’authenticité (« une simulation est une simulation si elle est perçue comme
authentique par les élèves »), et autour de trois critères : le
réalisme (la ressemblance supposée avec une référence de la vraie vie), la
cohérence (perçue dans les règles et les situations proposées), la pertinence
(utilité perçue par rapport aux objectifs d’apprentissage).
Et il poursuit :
« De ces trois critères, c’est celui de la
cohérence qui est apparu le plus fort dans les expérimentations. […] La
dimension réaliste est à nuancer : lorsqu’ils sont interrogés sur la manière de
définir leurs travaux, ils considèrent que ce travail reste amateur et ne peut
pas être diffusé auprès de la mairie par exemple. Si l'on s'en tient à la
simulation mise en place stricto-sensu, le critère de réalisme est faible, les
élèves ne se considérant pas comme des experts et leurs travaux ne pouvant
aider la mairie à aménager ces ambiances sonores. Cependant, si l’on considère
moins le scénario de la simulation que la simulation en elle-même, de manière
globale, le niveau de réalisme est fort, dans la mesure où l’on peut considérer
que les élèves sont entrés pleinement dans la simulation puisqu’ils ont été
capables pour la plupart de porter un regard réflexif sur leurs travaux et de
les juger peu pertinent pour la mairie. Le réalisme peut se lire ici à deux
échelles différentes, nuançant sensiblement la force de ce critère. Quant à la
pertinence, c’est certainement l’élément le plus faible de l’authenticité de la
simulation dans la mesure où cette dernière vient se heurter à la structure
institutionnelle de l’étude de cas et de l’organisation du chapitre sur les
villes durables. En effet, l’habitude de travailler avec une étude de cas fondé
sur des documents visuels (carte, photographie, graphisme, vidéo, texte)
accompagné d’un questionnaire visant à l’écriture d’une synthèse contraste avec
la démarche proposée dans ces expérimentations. C’est cette habitude forgée
tout au long de la scolarité dans le secondaire (les études de cas débutent en
classe de 6ème et sont présentes dans tous les programmes du collège) qui lui
fournit une grande crédibilité quant à sa capacité à faire apprendre. A
contrario, les multiples dérogations faites à ce modèle d’études de cas
(travail sur le son, capture et construction des données, construction d’une
carte en ligne à partir de ces données…) dans le cadre de ces expérimentations,
les rendent moins pertinentes aux yeux des élèves. »
Pour conclure, ce mémoire de master 2 est
intéressant à plusieurs titres : tout d’abord, il s’inscrit dans le
contexte des recherches initiées en géographie culturelle française sur la dimension
sensible de l’espace par Anne Volvey qui soutient sa thèse en 2003, suivie par
Elise Olmedo, dont le séminaire de recherche interdisciplinaire sur le sensible
est lancé à la rentrée 2012 (thèse soutenue en 2015). Ces recherches trouvent
également un écho en géographie scolaire, avec les recherches menées sur la
sortie de terrain « sensible » par Médéric Briand (thèse soutenue en
2014), ou sur les pratiques artistiques, géo-photographie, performance ou
cartographie sensible (Gaujal, 2016). En privilégiant la dimension sonore,
Jérôme Staub initie un nouveau champ encore, à la marge des pratiques
ordinaires en géographie scolaire, mais qu’il ancre par le biais du numérique
(le geoweb) à un autre champ de recherche encore, autour des usages du
numérique en géographie, et sur lequel travaille notamment Sylvain Genevois (thèse soutenue en
2008). Par ailleurs, ce mémoire rend compte d’un itinéraire de recherche, celui
d’un praticien qui mène une recherche sur sa propre pratique, soit un
praticien-chercheur. Cette dimension réflexive apparaît plus nettement à partir
de la troisième partie, et imprègne toute la suite du texte. Enfin, ce mémoire
contribue à nourrir le débat sur les apports du numérique en géographie et
les débats ou renouvellement autour de la « néo-géographie » (entendre par là « les
usages amateurs de la cartographie numérique, notamment le globe virtuel »,
cf. l’Agence des Usages des TICE).
Jérôme Staub ne compte pas s’en tenir là cependant
et c’est tant mieux, tant le mémoire ouvre de pistes que l’on souhaiterait voir
davantage développées : si les expérimentations présentées en classe de
seconde stimulent l’imagination du professeur qui en perçoit toute la richesse
et l’intérêt, on souhaiterait en savoir davantage sur les protocoles mis en
place et sur les résultats trouvés par les élèves, voire les écouter, via un
support numérique. De même, on serait curieux de voir comment l’expérience peut
se transposer à d’autres classes, à d’autres niveaux. Nul doute que la thèse en
préparation depuis 2015 à l’université de Lyon, sous la direction de Thierry
Joliveau, et dont l’intitulé provisoire est « éduquer avec des jeux
sonores géolocalisés », apportera quelques réponses à ces questions,
depuis une autre posture : non plus celle de l’enseignant, mais celle de responsable
éditorial au Canopé de Limoges.
Pour aller plus loin
Joliveau, Thiery, 2010, le geoweb pour les
nuls, Monde geonumérique, URL https://mondegeonumerique.wordpress.com/2010/06/24/le-geoweb-pour-les-nuls/
Staub, Jérôme, 2014, « Néogéographie, globes virtuels et apprentissages » in L’Agence des Usages, intégrer le numérique dans la pratique, URL https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/neogeographie-globes-virtuels-et-apprentissages.html
Groupe de travail IFE, Milieux sonores et mobilité, URL http://eductice.ens-lyon.fr/EducTice/recherche/geomatique/milieux-sonores-et-mobilites
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