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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

jeudi 22 novembre 2018

Des écoles normales à l’ESPE – Témoignages de formateurs


Catherine Dorison, Jean-Pierre Chevalier, Anissa Belhadjin, Marie-Laure Elalouf et Maryse Lopez

Des écoles normales à l’ESPE – Témoignages de formateurs

Presses Universitaires de Grenoble – 2018 – 237 p – 21 euros



CR de Xavier Leroux


Né de la frustration et de la douleur qu’a suscité l’évolution de la formation des enseignants sur la période l’emmenant des écoles normales aux ESPE, cet ouvrage impeccablement présenté (maquette, typographie, utilisation pertinente et dosée des annexes) rassemble les témoignages de dizaines de formateurs, de tous statuts et de tous horizons, travaillant ou ayant travaillé dans les structures de formation de l’académie de Versailles.

Collectés par cinq enseignants-chercheurs du laboratoire EMA (Ecole, Mutations, Apprentissages) de l’université de Cergy Pontoise, eux-mêmes rattachés à la formation des enseignants (Catherine Dorison, Jean-Pierre Chevalier, Anissa Belhadjin, Marie-Laure Elalouf et Maryse Lopez), les récits de ces nombreux témoins apparaissent riches d’enseignements et ce, bien au-delà de l’échelle académique d’où ils émanent.

Résonant comme un parti pris très engagé dès les premières pages de l’introduction, le fait de contribuer à l’histoire de la formation des enseignants en faisant de ces témoignages une source de cette histoire apparaît une façon originale et percutante de lire les choses de l’intérieur, avec une réelle profondeur, notamment pour se prémunir des « discours de rupture » ambiants qui ignorent volontairement les expérimentations passées ou présentent des nouveautés qui n’en sont pas. Comment saisir cette évolution fine du métier de formateur d’enseignants ?

Une lecture possible, la plus naturelle, est bien sûr celle de la chronologie : les trois premiers chapitres, représentant la moitié du volume de l’ouvrage, nous montrent très clairement qu’il y a eu un âge d’or à l’époque des écoles normales au moins en termes de moyens, de temps dégagé pour travailler, de souplesse dans la conception et l’exécution des tâches et que, progressivement, les choses se sont gâtées pour en arriver aux dramatiques conséquences de l’intégration aux universités et à la masterisation amenant les baisses en cascade : des postes aux concours et, mécaniquement, des vocations et des inscriptions, des heures dévolues à la formation. Mais il est évident que les modèles de formation étaient différents et le contexte moins crispé autour de la question.

Mais ce qui ponctue tout aussi nettement la chronologie de ces évolutions institutionnelles, c’est cette très forte résilience des formateurs qui, bien qu’heurtés dans les finalités de leur mission et bousculés dans leurs pratiques, ont su, pour une partie d’entre eux : collaborer pour contourner les clans ; se lancer dans des formations diplômantes dans le cadre de masters et de doctorats ; investir le distanciel ; répondre aux attentes d’un nouveau public de prétendants à l’enseignement, plus âgé, plus instruit, car ayant eu une « première carrière » avant.

En cela, l’ouvrage nous offre aussi la possibilité de lire thématiquement ces extraits de témoignages pour saisir pleinement ce qui constitue l’essence même du métier de formateur d’enseignant et l’esprit qui anime chacun d’eux dans cette mission. Si chaque expérience est différente, si chaque parcours est singulier, on relève des constantes notamment au travers de certaines formules qui reviennent fréquemment. En tête de file, ce serait très certainement celle du doute sur la « légitimité » à former :
  • la légitimité liée à l’âge lors de l’entrée en fonction, notamment lorsque l’on arrive sur ce genre de poste en première affectation sans l’avoir spécifiquement souhaité et que l’on se voit demandé de mettre entre parenthèses et même sous rature (sans « faire de vagues » !) ce à quoi on se destinait pour faire autre chose : sur nos disciplines liées à la terre et à l’espace, on appréciera le témoignage de la géologue Françoise Guichard à qui le directeur de l’école normale où elle avait été nommée en début de carrière avait demandé de faire du « terrain » (le « terrain » étant ici des classes du primaire et non celui du géologue !),
  • la légitimité liée au public d’apprenants auquel on se voit confronté bien sûr : et là, les pages montrant que les formateurs disciplinaires, de statut et de culture second degré, n’étaient pas dans les meilleures dispositions face aux professeurs des écoles (à plus forte raison en formation continue) sont nombreuses ! Ici encore, la recherche et l’autoformation constituent des réponses avouées par ces formateurs pour développer petit à petit cette légitimité sans qu’elle n’arrive malgré tout à faire d’eux des « pairs » quoi qu’on en dise,
  • la légitimité du lien entre enseignement et recherche pour les postes d’universitaires : ici, certains ne font pas, par conviction et/ou par commodité, le lien entre une discipline non didactisée, étudiée pour elle même dans le cadre de la recherche et le contenus des enseignements qui peuvent s’avérer plus transversaux ; d’autres au contraire saisissent toutes les potentialités de bâtir des séances de formation à partir de résultats de recherche ou de prendre appui sur des situations de formation pour en faire des objets de recherche et ce, à la fois dans le cadre d’une didactique disciplinaire ou dans le cadre de disciplines plus transversales, contributoires aux sciences de l’éducation. En fait, tout dépend beaucoup aussi du moment dans le parcours où le doctorat a été fait ainsi que le recrutement comme enseignant-chercheur.

L’équation n’est pas simple à résoudre et le sentiment d’efficacité pas non plus aisé à atteindre. L’ouvrage montre également très bien quelle culture commune structure le métier de formateur d’enseignant.

Si la polyvalence donnée par l’articulation entre la tenue des cours, les visites de terrain et le suivi de travaux (dossiers, mémoires…) définit l’intérêt de la mission de formateur, les regrets majeurs sont partagés, là encore, autour de quelques points saillants, de quelques formules récurrentes : 
  • l’émiettement continu de la formation au fil du temps qui crée une forme de solitude, qui n’évite pas les redites du fait de ne pas savoir ce que font les autres, et qui transforme les formateurs en évaluateurs du fait qu’il faille davantage « voir » en visites que « montrer » en formation,
  • la volonté de ne pas baisser les exigences malgré des recrutements moins sélectifs, de transmettre sans formater malgré les demandes de « recettes » des étudiants (sur ce point, il est intéressant de noter qu’un formateur interrogé n’avait pas hésité à transférer le contenu de son disque dur à ses étudiants en argumentant que c’est bien à eux d’y piocher avec discernement pour aboutir à une réflexion constructive),
  • la question clé de la forme du concours et de sa place dans la formation pour le premier degré : la nécessité d’être remis à niveau scientifiquement entraîne une stérilisation de la formation en réduisant la part de la didactique et en gommant la spécificité des cycles ; la disciplinarisation entraine, elle, une production éditoriale importante qui « scolarise » les contenus didactiques et fabrique une doxa pédagogique ; la schizophrénie nécessitant d’obtenir le concours ET le master crée une sécurisation sur des sujets de mémoire « bateaux ».
Les auteurs de l’ouvrage en concluent sur un appel, logique et légitime, celui de faire de cette histoire locale une pièce du puzzle parmi d’autres histoires locales qui pourraient être mises en confrontation pour aboutir à une histoire globale. Très certainement que des points de vue se recouperaient sur les motivations et les amertumes, très certainement que d’autres formateurs témoigneraient avec désappointement de la déliquescence brutale avec laquelle la formation a évolué.

Toujours pour le clin d’œil à la géologie à défaut de géographie, on s’indignera de la violence avec laquelle le site d’Etiolles a été fermé en 2013. Peu de temps avant la fermeture définitive du site, un tas de cailloux a été retrouvé éparpillé au pied du bâtiment de la Grande Maison des Hauldres : il s’agissait de la collection de roches de géologie patiemment constituée pendant quarante ans par les formateurs qui ont préféré les jeter par la fenêtre que de les abandonner à la benne à laquelle ils étaient destinés aux côtés des meubles devenus inutiles. Le même sort allait être réservé à pléthore d’ouvrages que la BU d’Evry ne pouvait accueillir faute de place. Et le bâtiment est toujours vide au moment de la rédaction du livre, faute d’acheteurs potentiels. D’autres sites ont connu sort similaire.

Des réflexions autour de la géographie, notamment dans le premier degré

Si les formateurs interrogés représentent une grande variété de disciplines enseignées, la majorité officie tout de même dans les domaines du français et des mathématiques. Aussi, il y a peu d’éléments concernant directement la géographie.

A noter :
  • qu’il est dommage que, sur le graphique présentant l’évolution de la structure des emplois IUFM 1993-2013, le distingo entre l’histoire et la géographie ne soit pas fait alors que le commentaire de cette page (p 14) évoque les postes d’enseignants-chercheurs (donc associés à une section CNU),
  • que quelques pages (pp 162-164) évoquent les stages et séjours dans d’autres régions ou à l’étranger : au-delà des retombées en termes de dynamique de groupe et de l’ouverture culturelle et citoyenne pour lesquelles ils sont conçus, ces projets étaient une réelle possibilité de compléter l’enseignement reçu en géographie par la pratique du terrain (mais abandonnés à la naissance des IUFM).
Pour ma part, je me demande s’il n’est pas possible d’imaginer assouplir et faire évoluer les recrutements. L’ouvrage montre bien toute la richesse des parcours antérieurs de certains formateurs ayant été recrutés sur le tard (cas du secondaire pour les filières professionnelles et technologiques) et qui fait justement parfois parfaitement écho à ces nouveaux prétendants aux concours candidatant eux-mêmes sur le tard puisque riches également d’une expérience antérieure.

Très logiquement, il serait intéressant d’avoir des didacticiens disciplinaires du primaire et plus précisément de l’élémentaire. Les formateurs ayant le statut de professeur des écoles n’ont jamais été mobilisés qu’autour de la maternelle, du transversal et de l’adaptation et l’intégration scolaire (p 52), le volet disciplinaire revenant aux titulaires d’un concours du second degré. Le livre montre également que les tentatives de modules de formation inter-degré, avec choix d’une entrée thématique à décliner sur l’ensemble de la scolarité pour aborder la continuité des apprentissages ont échoué parce que les collègues du second degré y étaient opposés et parce que les IPR militaient contre en disant à leurs stagiaires qu’ils n’avaient pas à avoir des formations qui convenaient aux maîtres d’école (pp 55-56) !

Si cloisonnement et condescendance il y a, n’est-il pas enfin temps d’ouvrir les portes aux professeurs des écoles ayant une coloration disciplinaire établie pour former leurs pairs ?

A défaut de recrutement à temps plein, n’est-il pas temps d’ouvrir d’autres options au CAFIPEMF ? Si cette certification reste dans l’esprit polyvalent de la formation du primaire, il est tout de même significatif que les spécialisations se font plus nombreuses :
  • avant la réforme de 2015, il y avait 4 options (arts visuels, éducation physique et sportive, éducation musicale, langues vivantes étrangères),
  • depuis cette date, trois se sont ajoutées (enseignement en maternelle, langues et cultures régionales, enseignement et numérique) amenant le total à 7.

A ce petit jeu paradoxal visant à multiplier les spécialisations pour une certification à visée généraliste, pourquoi ne pas créer des options géographie, histoire, science ? Ne serait-ce que pour « colorer » un peu la formation continue obligatoire désormais structurée uniquement autour du français et des mathématiques.

Je me questionne aussi, à la lecture des pages 144-145, sur les professeurs de philosophie ayant à former les professeurs des écoles. Comme il s’agit ici d’une discipline non représentée en primaire, un choix s’opère entre certains qui revendiquent la place de l’enseignement de la philosophie en tant que telle (et celle-ci a sa place dans les programmes, dans le cadre de l’EMC) et d’autres qui investissent la pédagogie et la psychopédagogie, autrement dit des disciplines contributoires aux sciences de l’éducation. Si, pour ce second groupe, il y a conversion d’une discipline mère et scolaire vers des disciplines contributoires aux sciences de l’éducation, n’y a-t-il pas là un parallèle à imaginer pour la géographie ? A savoir que des géographes spécialistes de la lecture spatiale des questions éducatives pourraient intervenir dans la formation des enseignants pour agrémenter la compréhension du fait éducatif : l’occasion d’embaucher de nouveaux géographes et de faire une place plus nette pour la discipline.

Ces propositions permettraient peut-être de redorer l’image de la formation du côté des formés, tant celle-ci est décriée dans d’autres sphères (blogs, forums, réseaux sociaux…) : un projet intéressant à mener serait d’interroger, sur le long terme, les formateurs sur le degré de satisfaction de leurs étudiants. Mais est-ce que tous oseraient s’y coller ?

A suivre, en tous cas, les évolutions inquiétantes de la formation dans le cadre de la loi "Pour une école de la confiance".


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