Xavier
Leroux, docteur en géographie, professeur des écoles
Vouloir se
questionner sur les programmes de géographie à l’école élémentaire implique de
prendre en compte quelques éléments de contexte liés à l’enseignement de la
discipline. La géographie à l’école élémentaire est différente de la géographie
du secondaire parce qu'elle est
en amont de la chaine de l’enseignement et n’est qu’une discipline parmi
d’autres, enseignée par des non spécialistes. Ces prescriptions apparaissent
assez vagues sur la question du « raisonnement » et semblent davantage précises
sur celle des « connaissances » à acquérir. Le contexte professionnel influe
sur ce décalage : les enseignants ne sont que très peu guidés dans la mise au
point scientifique de la discipline. Sur les quatre derniers programmes que
nous passerons en revue, 1995 - 2002 - 2008 - 2015 [1],
seuls ceux de 2002 ont fait l’objet de documents d’accompagnement qui, bien
souvent, sont désormais considérés par les enseignants, plus ou moins à tort,
comme obsolètes.
Jusque dans les
programmes de 2015, on ne trouvait aucune mention du raisonnement en géographie
à la différence des sciences de la matière et du vivant dont la démarche repose
sur l’observation
/ questionnement / expérimentation/ interprétation des résultats. Les
professeurs des écoles ont tendance à privilégier, par facilité et/ou par
habitude, l’acquisition-restitution de connaissances plutôt que la mise en
place d’une démarche animée par un raisonnement.
Pour chercher à
identifier les éléments liés au raisonnement présents dans ces programmes de
géographie, une lecture possible serait celle de la chronologie de la séquence
d’apprentissage avec les trois temps que seraient l’avant, le pendant et
l’après, le tout chapeauté par des compétences plus transversales qui
parcourraient ces trois temps.
Comment construire un raisonnement en géographie dans ces
programmes ?
Le premier
temps, la découverte, est celui pour « émettre des suppositions »
(1995), « se questionner » (2002) ou encore « observer » (2015).
En somme, c’est le temps de la découverte du problème, s’il en est vraiment un,
le temps de la prise de connaissance du/des document(s). C’est pour cela
qu’ici, peut s’adjoindre les volets liés au « sens de l’observation et à
l’esprit critique » (2008 - même si ces programmes ne rendent pas vraiment
hommage à cette idée), « à distinguer les faits et les hypothèses, les
croyances et les opinions » (2015), au fait que le document « exprime un
point de vue » (2015). Ainsi alerté, l’élève pourrait ensuite se lancer
dans l’étape suivante, celle de l’activité proprement dite.
Le second
temps, celui de l’action, est celui où l’on s’attache à « résoudre
un/le problème » et « d’en proposer la solution » (2015). En cela,
il est question de « décrire » (2008), de « faire des choix », « sélectionner
et (ré)organiser logiquement » (1995). Il est aussi question « des
multiples formes d’expression verbale des relations spatiales » et des
nombreuses « mises en relation » (2002) des espaces, des facteurs
explicatifs, des cartes…mais finalement, que signifie « mises en relation »
? S’agit-il de confrontations ? De comparaisons ? De manière plus pratique, il
est question « d’expliquer », « manipuler », « mesurer »,
« calculer », « expérimenter » (2015).
Le troisième
temps est celui de la restitution. Il convient donc là de « restituer
» et « communiquer sa démarche » (1995), de « rendre compte »
(2015) de « faire un argumentaire » (2002, 2015), de « justifier »
(2015). A nouveau, le fait de « réorganiser » les informations (1995)
doit servir ce moment où les informations organisées d’une certaine manière
lors des phases précédentes se voient organisées autrement pour les exposer.
Si ces trois
temps dessinent, après panachage de ces quatre séries de programmes, la
chronologie d’une phase d’apprentissage avec l’esprit louable d’une démarche
scientifique, la spécificité de la géographie n’apparaît pas des plus lisibles.
Surtout, s’adjoignent des sortes de compétences plus transversales encore, des
incitations à mobiliser des « procédures » (2015), « démarche
réfléchie » (2002), le tout dans avec « rigueur de méthode » (2002),
avec « apprentissage méthodique » (1995). Comment ne pas être d’accord
avec ces appels à faire les choses en les soignant ? Mais finalement qu’est-ce
qu’une « démarche réfléchie » (2002) ? Plus encore, qu’est-ce qu’une « démarche
d’analyse géographique » (1995) ?
Limites et enjeux de la démarche
Au niveau
théorique, les textes apparaissent plus pauvres et se basent essentiellement
sur la « causalité » (2002) avec une certaine ouverture à l’idée « d’expérimentation
» (2015) bien que la géographie ne soit pas une science expérimentale et
que la modélisation peut s’avérer un outil plus salutaire. Rien n’est évoqué
sur ce que pourrait être le rapport idiographie/nomothétie ou encore la
systémique.
En définitive,
on peut voir que si ces programmes illustrent plus ou moins bien ce que
pourrait/devrait être la discipline (ceux de 2008 étaient globalement en deçà
de ceux de 1995, 2002 et 2015), ils témoignent tout de même d’évolutions plutôt
positives dans l’idée de se rapprocher d’une science faisant appel au
raisonnement dans sa façon d’appréhender les apprentissages. Néanmoins, le
modèle sur lequel est abordé le raisonnement en géographie est en décalage avec
la nature des savoirs en jeu. La
géographie ne permet pas l’expérimentation. Elle autorise cependant une
démarche d’investigation dont la nature n’est pas précisée.
Pourtant, ces
textes ne semblent pas dire clairement ce que l’on peut attendre d’eux. Si
cette forme de liberté peut motiver, elle peut tout aussi effrayer. Et c’est
sans doute cette seconde hypothèse sur laquelle il convient de s’appuyer
puisque les enseignants du premier degré ne saisissent pas nécessairement bien
l’esprit du « raisonnement » en jeu dans ces différents programmes. Même si
l’on peut imaginer que ces textes sont « mis à leur niveau » de généralistes,
il n’est pas du tout certain que, sans solide formation initiale et surtout
continue, ils arrivent à s’approprier ce virage vers une démarche scientifique.
Les rares
enquêtes sur le sujet montrent que si près de 75 % des enseignants en primaire
rejettent l’affirmation qui considère que leurs évaluations consistent à «
réciter une leçon », ils sont 85 % à préconiser « la mémorisation de la leçon »
justement [2]
! Paradoxe très net.
[1] Arrêté du 22-2-1995. JO du 2-3-1995 (NOR : MENE9402285A)
Arrêté du 25-1-2002. JO du 10-2-2002 (NOR : MENE0200181A)
Arrêté du 9-6-2008. JO du 17-6-2008 (NOR : MENE0813240A)
Arrêté du 9-11-2015 - J.O. du 24-11-2015 (NOR MENE1526483A)
[2] Histoire, géographie, éducation civique en fin d’école primaire/collège
: le bilan des Compétences, SCEREN CNDP-CRDP, 2011, 48 et 71 pages
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