Céline Leguen, certifiée d’histoire-géographie
Depuis 1996, la géographie scolaire s'est transformée. Autant par les thèmes abordés que par les démarches initiées par les programmes, nous pouvons parler d'un changement instauré en 2009 qui s'accentue à travers les nouveaux programmes de 2015.
1996 : Mémoriser pour raisonner
La question du raisonnement n'est pas centrale dans le
programme de 1996. L'introduction au programme précise ainsi les finalités de
l'enseignement de la géographie : « La pratique de l'histoire et de la géographie contribue à former
l'intelligence active. Apprendre aux élèves à lire et à identifier, c'est-à-dire
à reconnaître et à nommer, puis à organiser ce qu'on a appris à reconnaître, et
enfin à construire quelques phrases pour donner sens aux éléments rassemblés,
exerce le jugement critique et raisonnable. » Le raisonnement y apparaît
en filigrane comme une perspective à l’issue de l’apprentissage des
localisations et des caractéristiques des espaces.
Dans le programme de la classe
de 6e, les deux axes principaux sont l'apprentissage des repères fondamentaux
et la compréhension des paysages. L'étude de documents est le vecteur du
raisonnement permettant aux élèves d'acquérir « les bases d'une culture
géographique ». Dans ce sens l'étude de paysage est largement préconisée afin
de permettre aux élèves de comprendre « la complexité des phénomènes
géographiques » et de « susciter la réflexion des élèves ». Il
est aussi mentionné la nécessité de faire travailler les élèves en autonomie afin
qu'ils aient de « bref[s] moment[s] de réflexion ». Le professeur
doit préparer son travail en problématisant afin de montrer aux élèves un
« raisonnement construit ». Le raisonnement est donc à la charge de
l’enseignant et l’objectif premier est l’acquisition de connaissances par les
élèves.
Dans le cycle central, 5e et
4e, on trouve peu de références au raisonnement géographique. Les rares indications précisent qu’il faut « décrire et expliquer les caractères
essentiels des continents”, "croiser les données pour éviter de s'en tenir
à la démarche analytique", “observation raisonnée des paysages”.
Néanmoins, dans les exemples de mise en œuvre nous retrouvons des pistes de travail
sur le raisonnement des élèves en géographie. Par exemple, en 5ème l'Afrique est abordée de
manière descriptive et non problématisée. Seule la conclusion ouvre sur
une dimension réflexive : « On peut, enfin, dans un troisième temps
s'interroger sur les difficultés actuelles de l'Afrique et la permanence des
conflits : s'expliquent-elles par les structures de la démographie et de
l'économie ? La dépendance extérieure ? La fragilité des sociétés
post-coloniales et de certains Etats ? » Nous le voyons, le
raisonnement est réduit à la portion congrue des programmes face à la
mémorisation, car comme ceux-ci l'indiquent : « La nécessité [est]
d'entraîner la mémoire des élèves car « comprendre ne suffit
pas ».
2008 : Changement de perspectives
Les
programmes de 2008 marquent un changement dans la géographie scolaire. Tout
d'abord, de nouveaux thèmes sont abordés
comme l’habiter en 6ème, le développement durable en 5ème ou la mondialisation en
4ème, sous l’impulsion de la demande sociale et politique ou du renouvellement de
la géographie universitaire. Par ailleurs, les finalités mises en avant par ces programmes évoluent :
« [..] développer chez les élèves la connaissance du monde qui les
entoure, […] leur fournir les éléments et les outils nécessaires à sa
compréhension, […] leur permettre de s'y situer et d'y agir ».
De nouvelles démarches de
travail sont alors introduites : « Cette
approche renouvelée met au centre des préoccupations la prise en compte de
l'échelle à laquelle un phénomène se déroule et s'observe du local au
mondial ». Les élèves deviennent acteurs de la construction de leurs
connaissances à travers des démarches réflexives. Dans les capacités du
programme, le couple expliquer/ décrire apparaît dès la 6ème et devient
systématique en 3ème. Il s’agit d’« initier [les élèves] au raisonnement
géographique et historique ». En effet, le vocabulaire utilisé dans le
corps du programme est significatif : « expliquer », « caractériser »,
« différencier », « identifier », « confronter »,
« s'interroger », « échelles », « acteurs », « enjeux »,
« dynamiques ». Ce vocabulaire montre que la démarche du professeur
n'est plus de présenter son propre raisonnement aux élèves, mais bien
d'apprendre aux élèves à raisonner par eux-mêmes. La démarche inductive est
mise en avant, notamment à travers l'étude de cas qui « invite à un parcours intellectuel qui
articule le particulier au général » et qui a pour finalité « la découverte de la diversité et de la beauté
du monde, la mise en œuvre du raisonnement géographique (systémique et multiscalaire),
la maîtrise progressive des capacités du programme (localiser, situer,
décrire, expliquer), l'acquisition d'un savoir transférable utile dans le
quotidien d'aujourd'hui et de demain. »
Les aspects civiques et
intellectuels sont donc au centre des finalités du programme. Il s'agit de former des citoyens capables de raisonner
sur l'espace qui les entoure.
2015 : Raisonner pour apprendre
Les programmes de 2015 s’inscrivent à la fois dans la
continuité des précédents et en rupture sur la hiérarchie des apprentissages
visés. Dans la continuité, les programmes conservent une approche par
compétences et les notions comme celle d’habiter en 6ème, de développement
durable en 5ème ou de mondialisation en 4ème. En rupture, la sixième passe en cycle
3 qui finissait jusque-là en élémentaire. Les programmes commencent par la
définition des compétences à acquérir pour chaque cycle. Le raisonnement figure
désormais parmi les compétences visées en cycle 3 et 4. Il s’agit de « raisonner,
justifier une démarche et les choix effectués ». Le raisonnement défini
comme compétence est de nature plutôt hypothético-déductive. Raisonner, c’est « poser
des questions […], construire des hypothèses d’interprétation […], vérifier des
données et des sources, justifier une démarche, une interprétation ». Le
programme de géographie quant à lui, propose une démarche qui reste inductive
par le biais notamment de l’étude de cas qui reste la seule démarche prescrite.
Il y a donc un écart entre le raisonnement en tant que compétence à acquérir et
le raisonnement en tant que démarche intellectuelle mobilisée en classe de
géographie.
La
démarche prospective est introduite. Le programme du cycle 4 poursuit la
démarche de former les élèves à raisonner, qui doit être au centre des
apprentissages : « Ils introduisent un nouveau rapport au futur et
permettent aux élèves d’apprendre à inscrire leur réflexion dans un temps long
et à imaginer des alternatives à ce que l’on pense comme un futur inéluctable.
C’est notamment l’occasion d’une sensibilisation des élèves à la prospective
territoriale. En effet, l’introduction d’une dimension prospective dans
l’enseignement de la géographie permet aux élèves de mieux s’approprier les
dynamiques des territoires et de réfléchir aux scénarios d’avenir
possibles ». Aussi, l'apprentissage du raisonnement géographique devient
clairement la finalité de cet enseignement au collège et les enseignants ne doivent
pas rentrer dans l'exhaustivité des thèmes : « Compte tenu de
l’ampleur des thèmes abordés, les professeurs doivent faire les choix
nécessaires pour que l’initiation des élèves aux questions traitées leur soit
accessible. Il s’agit en particulier de privilégier ce qui permet aux élèves de
maîtriser progressivement les bases de l’analyse géographique des espaces, de
différentes échelles, du lieu au monde, que les sociétés humaines
construisent. »
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