CR mémoire master 2 recherche, didactique des disciplines
Kouadio Jean Pierre OUSSOU
(2018). Les situations didactiques en cours d’éducation relative à
l’environnement dans les classes de géographie des lycées et collèges de
l’enseignement général de Côte d’Ivoire. Mémoire de didactique des
disciplines, master 2, dir. C.Leininger, Université de Paris VII-Diderot, 113
p.
Compte-rendu par Sophie Gaujal, septembre 2018.
Le mémoire de master écrit par
Kouadio Jean Pierre Oussou et consacré à l’Education Relative à l’Environnement
(ERE) en Côte d’Ivoire est intéressant à plusieurs titres.
Tout d’abord parce
que, écrit depuis la Côte d’Ivoire et soutenu dans une université française, il
contribue à l’émergence d’un réseau de la didactique de la géographie francophone.
Ensuite parce qu’il contribue, en la plaçant sur le territoire ivoirien, à
nourrir la réflexion entamée en didactique de la géographie sur l’ERE. Après
avoir redéfini celle-ci, en s’appuyant sur des références françaises (Vergnolle,
2006 ; Leininger, 2009), québécoise (Sauvé, 2002) et ivoirienne
(Coulibaly, 2014 ; Brou, 2016), il en fait un état des lieux, et note que, malgré les déclarations de principe
du gouvernement ivoirien, prédomine « une prédominance de la méthode
expositive de type cours magistral, un
« rejet » des leçons d’ERE par certains enseignants, une
administration scolaire accordant peu d’intérêt à une meilleure mise en œuvre
de l’ERE » (p.68).
S’interrogeant sur la manière de l’enseigner depuis la
géographie, Kouadio Jean Pierre Oussou note par ailleurs que le curriculum offre peu de prises à un tel
enseignement. Certes il dénombre une quinzaine de chapitres consacrés à la
question de l’environnement, sur les 45 que compte la géographie de la classe
de sixième à la terminale. Mais parmi eux, un tiers est consacré à la
description et la connaissance du milieu physique avec par exemple l’étude du
relief, puis du climat puis des interrelations entre le sol, le climat et la
végétation en classe de 6ème, dans une géographie très vidalienne
qui s’apparente à un tableau du monde, sans que l’influence de l’homme sur le
climat ne soit pas abordée ». En classe de 5ème, les
interactions homme-milieu sont davantage prises en compte (leçon sur les
conséquences des méthodes et techniques agricoles sur l’environnement ;
leçon sur les effets de la pollution industrielle et agricole). Il faut
attendre la classe de 2de pour que la notion de développement durable soit
abordée. Jean Pierre Oussou en conclut :
« Ces leçons par
leurs contenus évincent les problèmes contemporains de l’environnement que sont
le réchauffement climatique, les inondations, la montée des eaux de mer
etc. » (p.60). De plus, « pour des élèves dont l’âge varie
entre 10 et 13 ans, faire des choix de méthodes et techniques agricoles [comme
c’est le cas en classe de 5ème] pour un meilleur rendement est
au-dessus de leur compréhension. » (p.77).
Pourtant, les besoins sont
importants, et c’est à la suite d’un questionnement personnel que Kouadio Jean-Pierre
Oussou a entamé cette recherche : « les feux de brousse qui ravagent de
nombreuses superficies de végétation et des exploitations agricoles vont
attirer mon attention. Je me posais de nombreuses questions à
savoir : qui sont ceux qui mettent les feux à la brousse ? pourquoi
le font-ils ? ont-ils une idée des conséquences sur
l’environnement ? »
et abouti en master II à un questionnement critique de l’éducation à
l’environnement et la manière dont cette éducation est menée / peut être menée
en Côte d’Ivoire. « En effet, en
dépit des sensibilisations et des actions menées par l’Etat et les
Organisations Non Gouvernementales, jeter une ordure dans la rue, dans un car
de voyage, dans une salle de classe est une pratique quasi-quotidienne des
populations. » (p.4) et ce malgré les opérations lancées par le
gouvernement comme l’opération « Grand Ménage » initiée le 1er
février 2017.
Devenu professeur d’histoire-géographie dans le
secondaire, Kouadio Jean Pierre Oussou observe le même type de pratique dans le
comportement de ses élèves :
« Avant le passage des services de
nettoyage, nous avons retrouvé des ordures jetées à travers les claustras des
classes. Ces ordures aux alentours des classes sont constituées de feuilles de
papiers ayant servi à emballer la nourriture, des sachets vidés de leur contenu
(eaux, jus…), des restes de nourriture. Dans ce lycée, il existe des poubelles
pour pouvoir recueillir les différents types de déchets produits par les élèves
malheureusement, elles restent peu utilisées. » (p.52).
Il poursuit :
« Les élèves
participent aux nettoyages des salles de classes et de l’établissement par
contrainte, par crainte des sanctions. Ils salissent leur environnement
immédiat qu’est l’école. Ces différents actes montrent que les élèves ont une
méconnaissance des conséquences des actes qu’ils posent en termes de santé.
C’est aussi à se demander s’ils font des cours d’éducation relative à
l’environnement. Aux
comportements des élèves s’ajoutent ceux de certains chefs d’établissements qui
ne prennent pas la peine de coordonner les activités visant à rendre leurs
établissements propres si ce n’est lorsqu’ils doivent recevoir un supérieur
hiérarchique. Aussi existe-t-il des dépôts sauvages d’ordures en pleine école
dans certains établissements » (p.53).
La question que pose Kouadio Jean-Pierre Oussou va donc
au-delà de la géographie. Elle pose un problème social en Côte d’Ivoire et
nécessite une sensibilisation à l’environnement que l’ERE, de manière
transdisciplinaire, permet de prendre en charge, et que Kouadio Jean-Pierre
Oussou se propose d’interroger depuis la géographie, via l’observation de la
pratique de ses collègues et des expérimentations menées dans sa classe.
C’est un autre intérêt de ce
mémoire que de présenter des résultats
en lien avec la pratique de terrain de Kouadio Jean-Pierre Oussou. On y
voit affleurer des méthodologies relevant d’une géographie expérientielle, c’est-à-dire faisant de l’expérience des
élèves une modalité de l’apprentissage de la géographie. Il tente ainsi une sortie de terrain ; mais
raconte-t-il,
« A mon souhait de
faire une visite de terrain avec les élèves en vue de mieux décrire et analyser
les faits environnementaux, Mme le Proviseur a émis des craintes et a dit
vouloir prendre l’avis du Directeur Régional de l’éducation nationale, de
l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Elle dit
comprendre mon dévouement mais ne pourrait pas prendre de tel engagement. A la
question de savoir les raisons de ces craintes ? Mme le proviseur pense
qu’avec les effectifs des élèves aujourd’hui (une centaine en moyenne), leur
âge (onze ans en moyenne), il est difficile pour un professeur de pouvoir les
canaliser. La même demande effectuée par un de mes collègues auprès du
Proviseur du lycée moderne 1 d’Agboville a produit le même résultat. La sortie
de terrain n’étant désormais plus possible. Cette voie étant inaccessible, il
fallait explorer d’autres voies. » (p.45).
C’est alors qu’émerge un projet, celui de travailler sur
la question de la collecte des déchets en milieu scolaire. C’est en effet un
problème à hauteur d’élèves, un problème du quotidien, que les élèves
peuvent observer dans leurs pratiques, et dans l’enceinte même de l’établissement scolaire, permettant une sortie
de terrain là où elle est impossible dès lors qu’il faut franchir l’enceinte du
bâtiment. Cette modalité pédagogique n’est cependant pas explorée plus avant dans
le mémoire de Kouadio Jean-Pierre Oussou, et c’est au cours de la soutenance,
au moment de l’entretien, qu’elle est explicitement envisagée.
Pour conclure, voici un mémoire qui permet une approche
décentrée de l’enseignement de la géographie et de l’ERE, révélant les
modalités de l’enseignement de la géographie en Côte d’Ivoire, les difficultés
qu’y rencontrent les enseignants mais aussi les initiatives prises, ponctuellement,
par les enseignants sur le terrain, à l’appui des outils fournis par la
didactique de la géographie. Il témoigne d’un intérêt
constant dans le champ de la didactique de la géographie pour ces questions,
tout comme le mémoire soutenu le même jour par Eliane Perrin sur
l’introduction de l'enseignement du changement global en classe de 5ème (voir le
compte-rendu).
Ce résume produit par le Dr Gaujal est conforme à la réalité que ce mémoire met en relief. La voie qui est de rechercher des "formules" adéquates pouvant permettre de contourner les difficultés de mise en oeuvre de l'ERE en cours de géographie dans l'enseignement général de Côte d'Ivoire seront au cœur de la thèse de doctorat à venir. A ce sujet, je sollicite les bonnes volontés pour l'encadrement de ma thèse de doctorat.
RépondreSupprimerKouadio Jean-Pierre OUSSOU de la Côte d'Ivoire