Une étude à partir de l'épreuve d'Analyse de Situation Professionnelle en géographie (session 2018).
"Participer à un jury d'un concours de recrutement d'enseignants est un moment riche en rencontres, en recul sur ses pratiques et riche en enseignements sur les connaissances mobilisées par les candidats face à des connaissances attendues par le jury lors de l'épreuve de géographie d'Analyse de Situation Professionnelle (ASP)."
Benoît Bunnik, qui a participé au jury du CAPES 2018, s'est livré à un exercice intéressant : collecter tous les noms de géographes cités par les candidats dans son jury oral d'ASP ainsi que ceux qui apparaissaient dans les sujets proposés dans les dossiers (documents D et E). Sans prétendre construire une épistémologie complète des savoirs géographiques mobilisés dans ce concours d'enseignement (il faudrait pour cela aborder non seulement les auteurs, mais également les notions et les cadres de référence des candidats), l'auteur parvient à mettre en évidence un décalage entre les références attendues du jury et celles qui sont réellement mobilisées par les candidats. Les références de ces derniers sont souvent plus classiques et plus datées, même si on voit apparaître quelques noms de géographes très contemporains :
Le corpus de données peut sembler un peu limité avec 46 dossiers d'ASP collectés sur une seule année et 84 candidats auditionnés au sein d'une seule commission de jury. L'analyse et les conclusions qui peuvent en être tirées doivent donc être relativisées, comme le souligne Benoît Bunnik qui dit avoir conscience d'avoir dressé un "inventaire à la Prévert" (certains noms apparaissent d'ailleurs plusieurs fois sur le nuage de mots). Ces limites étant posées, les conclusions de l'auteur permettent d'ouvrir des perspectives.
Il en tire quelques pistes pour conseiller les candidats et améliorer leur préparation au concours, notamment la nécessité de ne pas s'en tenir aux auteurs, mais d'aborder aussi les concepts et notions de la géographie en référence à des courants, à des paradigmes et à des évolutions de la pensée géographique. D'une certaine façon, cette liste de référents épistémologiques renvoie à la manière dont les étudiants pensent la géographie et dont les formateurs arrivent (avec plus ou moins de succès et avec les contraintes de la formation qui existent aujourd'hui dans les universités et dans les ÉSPÉ) à donner un "bagage" épistémologique suffisant à leurs étudiants. On ne peut négliger "l'effet concours" qui conduit souvent les candidats à citer des noms de géographes emblématiques de la géographie (Vidal de la Blache, Brunet, Lacoste, Claval, Frémont...) ou à s'en tenir à des noms d'auteurs isolés sans rattachement à des écoles ou à des courants de pensée géographique. Le nuage de mots réalisé par Benoît Bunnik donne à voir cependant des renouvellements épistémologiques (Lévy, Lussault, Stock, Lazzarotti, Staszak, Subra...), des liens avec d'autres champs disciplinaires (Braudel, Bourdieu, Lefebvre...), des passeurs entre géographie scientifique et géographie enseignée (Grataloup, Carroué, Knafou, Fumey, Reghezza-Zitt, ...).
L'auteur affirme qu'"une 15e de fiches devraient suffire pour bien préparer les oraux". Nous serions plus prudent sur ce point, en raison de la nature même de ces "fiches" : tout dépend de ce qu'on y met pour éviter le bachotage, comment on relie ces géographes à des concepts, et comment on fait des liens avec des notions (voire des trames notionnelles) au sein des programmes scolaires. Compte tenu des exigences accrues de cette nouvelle épreuve d'ASP qui a beaucoup évolué et qui ne se résume plus seulement à des questions épistémologiques, il semble de plus en plus nécessaire de penser l'épistémologie scientifique en lien direct avec l'épistémologie scolaire des programmes (quels sont les savoirs vraiment à enseigner ?) et les méthodes de transmission-appropriation de ces savoirs (importance des questions didactiques et pédagogiques). Les notions épistémologiques du document D ne sont pas à analyser de manière déconnectée du dossier documentaire. Elles doivent nécessairement être recroisées avec les autres documents : document A (contenus des programmes officiels), document B (fiche Eduscol donnant des pistes de mise en oeuvre), document C (extraits de 2 manuels contenant eux-mêmes des références et des interprétations), document E (prolongeant et élargissant la réflexion dans une dimension citoyenne).
L'auteur affirme qu'"une 15e de fiches devraient suffire pour bien préparer les oraux". Nous serions plus prudent sur ce point, en raison de la nature même de ces "fiches" : tout dépend de ce qu'on y met pour éviter le bachotage, comment on relie ces géographes à des concepts, et comment on fait des liens avec des notions (voire des trames notionnelles) au sein des programmes scolaires. Compte tenu des exigences accrues de cette nouvelle épreuve d'ASP qui a beaucoup évolué et qui ne se résume plus seulement à des questions épistémologiques, il semble de plus en plus nécessaire de penser l'épistémologie scientifique en lien direct avec l'épistémologie scolaire des programmes (quels sont les savoirs vraiment à enseigner ?) et les méthodes de transmission-appropriation de ces savoirs (importance des questions didactiques et pédagogiques). Les notions épistémologiques du document D ne sont pas à analyser de manière déconnectée du dossier documentaire. Elles doivent nécessairement être recroisées avec les autres documents : document A (contenus des programmes officiels), document B (fiche Eduscol donnant des pistes de mise en oeuvre), document C (extraits de 2 manuels contenant eux-mêmes des références et des interprétations), document E (prolongeant et élargissant la réflexion dans une dimension citoyenne).
Le corpus de données peut sembler un peu limité avec 46 dossiers d'ASP collectés sur une seule année et 84 candidats auditionnés au sein d'une seule commission de jury. L'analyse et les conclusions qui peuvent en être tirées doivent donc être relativisées, comme le souligne Benoît Bunnik qui dit avoir conscience d'avoir dressé un "inventaire à la Prévert" (certains noms apparaissent d'ailleurs plusieurs fois sur le nuage de mots). Ces limites étant posées, les conclusions de l'auteur permettent d'ouvrir des perspectives.
Sur 670 références collectées, ce sont au total 155 noms de géographes qui ont été cités à l'oral au sein de cette commission de jury, avec une moyenne de 8 noms par candidat. Certains candidats citent moins de 3 géographes, tandis que le record s'établit à plus de 30 références ! La diversité des noms reflète la diversité de la recherche en géographie. Le nombre de citations ne présage pas de la pertinence de ces références, les candidats n'étant pas évalués au nombre de géographes qu'ils distillent, mais plutôt à la compréhension des objets, des méthodes et des modes de raisonnement de la géographie. Les auteurs cités et les sujets proposés reflètent en partie les évolutions épistémologiques de la géographie enseignée, notamment la place accordée désormais à la géographie culturelle, à la géographie urbaine, à la géopolitique..., tandis que la géographie économique (malgré l'importance accordée à la mondialisation) occupe une place moindre. Un point important à retenir : 90 des 92 documents soumis à l'analyse des candidat.e.s sont très récents, 51 ont été publiés entre 2013 et 2018 (ce qui ne signifie pas qu'ils ne mentionnent pas en leur sein des noms de géographes plus anciens). Le fait est que les jurys choisissent des auteurs et des objets de la géographie de plus en plus récents, ce qui augmente d'autant (trop ?) la masse de connaissances à acquérir pour les candidats. On peut faire l'hypothèse que, selon les années, les membres du jury qui composent les sujets d'oraux peuvent être plus ou moins sensibles aux questions socialement vives (le développement durable, la question migratoire, les inégalités...), aux changements des programmes qui introduisent de nouvelles notions (l'habiter, le changement global, la prospective...) ou encore aux effets de mode (cf FIG consacré aux territoires des animaux, aux territoires imaginaires...).
Il n'est pas exclu qu'il y ait aussi des effets de contamination, les connaissances nécessaires pour la préparation des trois questions à l'écrit venant alimenter en partie les références des candidats à l'oral (cf par exemple les citations récurrentes en 2018 sur la question du tourisme et des loisirs). Il conviendrait de conduire une étude plus poussée à partir des notions, de leur contexte de mobilisation en lien avec les documents, de la manière dont elles sont censées valider une culture géographique et venir faire sens auprès des élèves. En toute logique, si les mots ont un sens, l'épreuve d'Analyse de Situation Professionnelle (ASP) devrait permettre d'analyser la maîtrise des savoirs de référence d'un point de vue tout à la fois épistémologique, didactique et pédagogique. C'est en partie l'orientation prise aujourd'hui par cette épreuve de concours au CAPES, même s'il reste du chemin à parcourir pour une réelle mise en oeuvre de cette hybridation des savoirs qui dépasse la seule maîtrise des savoirs académiques.
Lire l'analyse sur le blog Geobunnik.
Lire les conseils donnés dans le rapport de jury du CAPES d'histoire-géographie 2018.
Lire l'analyse de Jean-François Thémines à propos du rapport des professeurs avec leur discipline et ses objets d'enseignement : Le rapport pratique à l'épistémologie, chez des professeurs-stagiaires du secondaire en géographie. Proposition d'une analyse par cas. Cybergeo : European Journal of Geography, 2006.
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