entete

DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

lundi 17 septembre 2018

CR Master 2. Le changement global en classe de cinquième

CR mémoire master 2 recherche didactique des disciplines

Eliane Perrin (2018). Le changement global et ses principaux effets géographiques régionaux en classe de cinquième. Mémoire de recherche Master 2ème année didactique de l’histoire-géographie, dir. C.leininger, Université de Paris Diderot, 187p.

Compte-rendu par Sophie Gaujal, septembre 2018.

Soutenu en juin 2018 dans le cadre du master de didactique des disciplines, le mémoire d’Eliane Perrin traite d’un changement curriculaire : le changement global, dont l’étude a été introduite récemment dans le programme de géographie de cinquième (BO n°11 du 26 novembre 2015).
Le mémoire consiste en une étude longitudinale, de l’apparition de la notion de changement global dans le champ scientifique anglo-saxon à son introduction dans les programmes (1ère partie) puis à leur traduction dans les manuels scolaires (2ème partie) et à leur mise en œuvre par les enseignants et les élèves (3ème partie). Pour la mener, Eliane Perrin s’est appuyée sur les textes officiels (publications au Bulletin Officiel, textes Eduscol), sur une analyse très complète de manuels scolaires (tant leur iconographie que les exercices proposés) et de travaux d’élèves, complétée par des entretiens menés auprès d’enseignants.
Outre son intérêt sur le plan méthodologique, Eliane Perrin montrant ici de manière remarquable la façon dont elle s’est approprié les outils théoriques et méthodologiques développés en didactique de la géographie et enseignés en master II de didactique des disciplines, ce mémoire permet de faire le point sur une notion nouvellement introduite dans la géographie scolaire et sur les enjeux de son enseignement. Voici une synthèse de ses principales conclusions.

La terminologie de « changement global » tout d’abord : c’est un néologisme, traduit de l’anglais « global change ». En anglais, elle désigne les changements de l’ensemble des conditions climatiques en raison des activités humaines, à l’échelle planétaire. Elle est lié au terme d’Anthropocène, introduit par Paul Crutzen dans les années 2000 pour désigner une nouvelle ère géologique dans laquelle les activités humaines impactent l’environnement de manière irréversible. Apparu dans les années 1980, elle est introduite en France en 2007 par l’agronome Michel Griffon, et prend une acception plus large, pour caractériser non seulement le changement climatique mais l’ensemble des changements liés à l’anthropisation (p.7). Par rapport à la notion de développement durable, qui introduit une dimension sociale et prospective dans les questionnements liés à l’environnement, la terminologie de « changement global » permet une réflexion systémique et à l’échelle mondiale.

Son introduction dans la géographie scolaire ensuite : elle peut être attribuée en partie à l'influence de Michel Lussault, géographe et président du Conseil Supérieur des Programmes (CSP), qui souhaitait sortir « du discours parfois moralisateur, attrape-tout et pas très précis » du développement durable (Michel Lussault, cité p.24). En classe de Cinquième, elle s’y substitue partiellement (mentionnée 5 fois dans le programme contre trois pour le développement durable (BO n°11 du 26 novembre 2015). Elle s’inscrit dans la continuité de « l’éducation à l’environnement » introduite en 1977 (circulaire n°77-100, 29 août 1977) devenue en 2004 « l’éducation à l’environnement et au développement durable » (circulaire n° 2004 -110 du 8 juillet 2004).

Néanmoins, cela ne se fait pas sans difficultés voire hiatus épistémologiques. En effet, comme à chaque nouvelle innovation dans la forme scolaire, cela nécessite de composer avec l’existant. Ainsi, l’étude du chapitre est initiée par une étude de cas sur le changement climatique, selon la démarche inductive qui a été systématisée dans la géographie scolaire depuis 2002 en lycée (BO Hors Série n°6) puis 2008 en collège (BO spécial n°6). 

Cela pose deux problèmes au moment de la contextualisation : le changement d’échelle d’une part puisqu’il s’agit de passer du particulier (le cas) au général (le monde) et le changement d’objet (du changement climatique au changement global). De plus, tel qu’elle est traduite par les manuels scolaires, l’étude du changement global se fait sous la forme de situations problèmes comme le montre le tableau ci-dessous. 

Tableau. Problématiques retenues par les manuels de géographie de 5e pour traiter du changement global. In Perrin, 2018, p.59.
Manuels
Problématique
Bordas
Comment l’humanité doit-elle s’adapter au changement global ?
Belin
Comment s’y adapter et l’atténuer ?
Nathan
Comment les sociétés s’adaptent-elles aux effets du changement global sur leur territoire ?
Hachette
Qu’est-ce que le changement global ? Quelles sont les conséquences géographiques de ce phénomène ?
Lelivrescolaire
Quels sont les principaux effets du changement global ? Comment s’y adapter ?
Magnard
Comment les sociétés répondent-elles au changement global ?
Hatier
Comment les sociétés s’adaptent-elles au changement global ?


Le changement global est ainsi traité comme un problème à résoudre, et les élèves sont chargés de chercher des solutions au changement global. Or, en sciences humaines il s’agit moins de résoudre des situations problèmes que de réfléchir à des situations problématiques (Gérin-Grataloup, Solonel, Tutiaux-Guillon, 1994). En effet, si en mathématiques les problèmes sont fermés (il y a une solution), en géographie, ils sont ouverts : il y a plusieurs solutions. En traitant le changement global comme une situation problème, les manuels scolaires privilégient donc la recherche de solutions à celle des causalités.

Les images proposées vont dans le même sens. On y voit des habitants protégeant leur maison (Doc.2, Belin, 2016, p. 269), reconstruisant des villages sur pilotis ((Nathan, 2016, document 9 p. 281) ou la plantation de mangrove pour freiner l’érosion des côtes (Hatier, document 3 p. 301) (cité p.74).  De même, l’avancée de la désertification semble jugulée par les projets « grande muraille verte » en Afrique, ou en Chine (Hatier, 2016, p. 304 document 3 et p. 305 document 4). Ces images, attentionnelles (c’est-à-dire destinées à frapper l’attention) « minimisent les problèmes soulevés par les modifications climatiques. Elles dévoilent des hommes capables de braver les effets du changement global. Ces représentations évincent donc toute dramaturgie et conduisent à une sorte de réification du changement global » (p.76). Cela aboutit à une mise en scène de la résilience des sociétés et des aménagements.

Autre difficulté pointée par Eliane Perrin, celle du passage sous silence de la pluralité de ses acteurs, notamment publics : « les manuels n’y font référence que dans la partie « adaptations au changement global » du texte du cours. Dans le corps des ouvrages, l’intervention de la puissance publique est presque un implicite. C’est donc un autre biais qui est introduit dans la compréhension de cette notion complexe de changement global ». (p.78). Or, comme l’a à nouveau montré Jean François Thémines dans sa récente note de synthèse (compte-rendu ici), la géographie scolaire peine à introduire cette dimension systémique, et plus encore actorielle dans sa réflexion : « les acteurs, de même que leurs intentions et leurs actions [qui] sont des éléments essentiels de l’analyse d’un phénomène social [sont] largement absents du discours des élèves (ou restent implicites) [les élèves en restant souvent à l’invocation d’acteurs indifférenciés et d’une autorité immanente] » (Pache, Hertig & Curnier, 2016, p. 23-24). C’est donc toute la catégorie d’espace qui n’est construite que de façon fragile et non seulement la notion d’acteur ou de système d’acteurs. En effet, la tendance à l’indifférenciation, voire à l’indistinction des acteurs, a de grandes chances d’aller de pair avec la conception d’un espace « donné », certes non homogène, mais existant « en soi » dans sa matérialité, indépendamment des intentions, des actions, des savoirs et des projets d’êtres humains inégalement capables d’agir sur elle » (Thémines, 2016, p.26, 27).

La suite du mémoire d’Eliane Perrin que nous ne développerons pas ici est consacrée aux représentations des enseignants sur le changement global, et à des expérimentations menées en classe, depuis une posture de praticien-chercheur, pour évaluer la manière dont les élèves s’approprient cette notion complexe.

Pour conclure, le mémoire d’Eliane Perrin s’inscrit dans le prolongement des travaux consacrés en didactique de la géographie à l’éducation à l’environnement (Sauvé, 2002), au géosystème (Vergnolle, 2006), au développement durable (Leininger-Frézal, 2009). Elle témoigne d’un intérêt constant dans le champ de la didactique de la géographie pour ces questions, tout comme le mémoire soutenu le même jour par Jean Varold Oussou sur l’enseignement du développement durable en Côte d’Ivoire (voir le compte-rendu).

Bibliographie

LEININGER- FREZAL Caroline, 2009, Le développement durable et ses enjeux éducatifs. Acteurs, savoirs, stratégies territoriales, Thèse de doctorat, Lyon.

SAUVE Lucie, 2002,"L'éducation relative à l'environnement : possibilités et contraintes", Connexion, La revue d'éducation scientifique, technologique et environnementale de l'UNESCO, vol XXVII, n°1/2, pp.1-4
THEMINES, Jean-François, « La didactique de la géographie », Revue française de pédagogie, 197 | 2016. URL : http:// journals.openedition.org/rfp/5171   Voir le compte-rendu.
VERGNOLLE MAINAR Christine, SOURP Robert, « La difficile prise en charge de l'interface nature-société dans la géographie scolaire française : l'échec de l'introduction du concept de géosystème  », L'Information géographique  2006/3 (Vol. 70), p. 16-32. DOI 10.3917/lig.703.0016


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire