L’argumentaire général posé est que pour maitriser les disciplines à enseigner, il faut en passer par une certaine maîtrise de l’histoire et l’épistémologie des disciplines en question. Dès l’introduction, Jean-François Thémines aborde la spécificité de la forme scolaire de l’enseignement de la géographie l’associant à l’histoire et à l’EMC. Si tout un chacun s’est construit en raison de cette forme scolaire une image de la géographie, il est en revanche plus difficile d’évoquer un rapport avec une géographie qui ne serait pas spécialement scolaire. D’où viennent les savoirs ? Quelle réception selon le fait que la personne à qui on pose la question se destine au professorat ou pas forcément ? Quelle identification de la discipline scolaire « géographie » ?
La première partie évoque la contextualisation des savoirs disciplinaires en géographie scolaire, géographie universitaire et autres. Le modèle convoqué certes ancien mais toujours opérant est celui de Jean-Pierre Chevallier (1996) qui montre une circulation entre 4 pôles : la géographie universitaire, la géographie grand public, la géographie appliquée, la géographie scolaire, pôles alimentés également par d’autres savoirs de référence. Le débouché enseignement secondaire, et pire encore pour le primaire, est infime par rapport à d’autres possibilités d’emplois.
S’en suit un regard sur la géographie scolaire dans son environnement plus interne. Sont évoqués les programmes au travers les circulations de questionnements entre la géographie scientifique et la géographie enseignée. Parmi les exemples récents : la question de l’habiter en cycle 3 ou la géoprospective. Cela assoit la légitimité de la géographie à s’emparer de ces questions. Mais les curriculum sont non intégrés, calés sur des temps politiques et n’offrent donc peu d’harmonie entre eux et d’une chronologie à l’autre. La géographie scolaire s’alimente elle-même via le lien avec le grand public : une géographie grand public renvoie vers l’école une version ancienne de la géographie scolaire. Il y a un lien avec les outils comme la carte mais la géographie scolaire est en porte à faux avec les usages sociaux de la carte (numérique notamment). Mais qu’il s’agisse de cartes « classiques » ou scolaires, les finalités ne sont pas claires : entre un objectif de faire raisonner les élèves sur l’organisation de l’espace et objectif d’une inculcation de repères qui ne sont pas discutés.
Le dernier temps de cette première partie se lit avec une focale encore plus resserrée, celle de la discipline scolaire enseignée. La détermination des contenus est pilotée par des finalités. Le système de finalités peut évoluer d’un programme à l’autre à l’image de la disparition en 2019, au lycée, de la prospective initialement proposée en 2010. Cela est d’autant plus dommage que le citoyen de demain aura de plus en plus à agir sur et avec l’espace. Jean-François Thémines propose une succession d’occurrences de représentations d’un triptyque (finalités, contenus, démarches de savoir) pour lire la dimension du monde, le tout chapoté par divers enjeux de pouvoir dont un majeur de prescriptions primaires (voie hiérarchique) et de prescriptions secondaires (que la profession s’autoprescrit collectivement) et d’autres encore qui viennent du monde de la formation.
La seconde partie fait le point sur les études qui, depuis 30 ans, peuvent nourrir l’histoire et épistémologie de la géographie dans la formation des enseignants.
Un premier axe concerne naturellement les pratiques enseignantes, l’activité de l’enseignant en situation restreinte ou plus élargie. On lira dans tout ce corpus :
- Une certaine permanence mais une fausse permanence car le mot « géographie » est lui permanent mais masque les changements des programmes et l’illusion qu’une géographie scolaire traditionnelle rassurante serait plus facilement enseignable et/car plus facilement évaluable. L’histoire de la discipline doit être une ressource,
- Une pratique multiréférencée : enseigner l’espace amène à recourir à la géographie spontanée de la personne (sa géographicité), à une géographie scolaire plurielle (scolaire dans tout son parcours) et ainsi nait un cadre de référence,
- Un hiatus entre la valeur didactique des pratiques (leur intérêt pour les apprentissages) et les autres cadres des programmes : ce n’est pas parce que c’est dans les programmes et enseigné dans cette optique que c’est forcément d’un fort intérêt didactique (à l’image de l’épreuve de cartographie au baccalauréat),
- Des possibles dans le cadre d’ingénieries diverses (les acteurs, l’argumentation, l’habiter…) dans des recherches collaboratives. Dès lors, comment insérer ça en formation ?
Un second axe porte sur les usages scolaires et la production d’images géographiques : l’image comme support, comme trace, comme fragment, comme discours. Ce ne sont pas des catégories des enseignants qui vont aux images de manière plus floue et plus « brutale ». Il y a une forte fréquence d’usage, une croyance dans la facilitation de l’accès aux savoirs par l’image, de nombreux rituels dans les usages, une fenêtre sur le monde peut-être trop simpliste. Mais là encore des ingénieries didactiques sont possibles.
Une troisième et dernière partie en conclut sur la proposition de Jean-François Thémines de trois paradigmes pour penser la place de l’histoire et l’épistémologie de la géographie dans la formation initiale des enseignants.
- Le paradigme expérimental : ici les contenus d’épistémologie sont sélectionnés en fonction d’une pertinence d’après une lecture de la géographie scientifique avec une extériorité ou une antécédence par rapport aux situations professionnelles des enseignants. Il nécessite un espace didactique de simulation pour que les étudiants et enseignants en formation initiale s’en inspirent. Un savoir est produit, il circule, il est légitimé ou non dans la sphère sociale, puis il arrive dans la sphère scolaire
- Le paradigme expérientiel : la préoccupation c’est faire comprendre ce qu’est l’espace, le rapport à l’espace. Il y a là une légitimité scientifique mais aussi sociale. Est convoqué ici l’exemple de la crise du paysage (Christine Partoune), du paysage comme relation. Il y a une légitimité pédagogique à chercher les lieux « rentables » pour récolter du matériau et de l’analyse. On peut essayer de faire l’expérience de la complexité de l’espace par ruptures par rapport aux pratiques ordinaires : forcer le regard, à 360 ° par exemple, pour saisir davantage, en tous cas différemment.
- Le paradigme critique : les contenus sont sélectionnés en fonction de défis, de problèmes ou d’épreuves professionnels que des approches croisées, par exemple en didactique de la géographie et en analyse de l’activité, permettent d’identifier, analyser et nommer avec les étudiants stagiaires ou les professeurs en formation initiale. Certains thèmes, moments s’y prêtent et, généralement, dans ces cas là, le défi que se lance l’enseignant correspond à un défi aussi pour les élèves
La conférence se termine sur l’instabilité, la porosité et la clarté toute relative de la discipline scolaire. Il n’est pas certain que les enseignants en soient conscients.
Plusieurs points d’entrée en formation peuvent être mobilisé comme l’épistémologie des pratiques de savoirs scientifiques ou l’épistémologie des pratiques de savoirs scolaires (dont l’évaluation), l’épistémologie des controverses socio-scientifiques, l’épistémologie des pratiques et productions iconographiques…
Maintenant, comment mobiliser tout ça pour bâtir un cadre d’analyse et d’action propice tout en enrôlant les enseignants alors que le contexte politique n’aide pas à aller vers l’autonomie ?
Il y a encore des passerelles à tisser avec des thèmes actuels dynamiques en science comme le genre, les frontières, le post colonialisme…
Deux questions des auditeurs s’ajoutent à la conférence.
Question 1 : les enseignants seraient-ils dans une succession d’occurrences ou une hybridation d’occurrences (des co-occurrences) ?
Réponse : C’est un moment où on pense « géographie scolaire » pour l’enseignant, l’élève…il y en a des quantités donc peut-être qu’on est allé trop loin dans les modèles qui occultaient ces multiples façons de penser. Les hybridations permanentes sont irréalistes mais les « sauts » d’un cadre de pensée à l’autre ont été démontrés (ce qui est prévu dans la préparation, ce qui arrive de manière spontanée dans la discussion)…
Question 2 : quelle mise en situation de production géographique des élèves ?
Réponse : Nous ne savons que peu de choses sur ce que savent les élèves de l’espace, ce qui suppose la mise en enquête de l’élève et de l’enseignant. Les enseignants chercheurs associés à ces démarches sont, eux aussi, en position de recherche et non de « contrôle » sur ces enseignants.
Xavier Leroux