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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

mercredi 24 octobre 2018

Journée d’études espaces pour apprendre / espaces d’apprentissage

Journée d’études : espaces pour apprendre/espaces d’apprentissage : documentation et intervention par l’image (ESPE Caen, 28 novembre 2018)


La journée d’études organisée par l’axe 2 Professionnalisations en contextes éducatifs du Pôle fédératif de recherche de l’ESPE de Caen (responsable : Anne-Laure Le Guern ; responsables de la journée : Jean-François Thémines, Stéphanie Caillé) est consacrée aux possibilités méthodologiques d’enquête sur les contextes de travail et d’apprentissage, à partir de l’espace et des lieux pratiqués, perçus, représentés par les enfants, par les adultes (professeurs, autres) au moyen d’images (photographies, dessins, parcours commentés, réalisations iconographiques diverses).

Les méthodologies présentées sont attentives aux variations spatiales et territoriales des contextes de pratiques, dont l’importance est minorée dans les études sur l’activité enseignante. Certaines méthodes de recherche comportent une dimension d’intervention, de performance, voire de recherche-création. Avec la présence et les présentations de :
  • Sophie Gaujal (docteure en géographie, ESPE de Paris), auteure d’une thèse intitulée : Une géographie à l’école par la pratique artistique (voir : http://journals.openedition.org/cdg/623) ;
  • Elise Ouvrard (maîtresse de conférences en langue et littérature anglaise, ESPE de Caen), qui présentera une analyse de dessins de professeurs-stagiaires d’anglais en master MEEF ;
  • Ghislain Leroy (maître de conférences en sciences de l’éducation, Université de Rennes 2), auteur de travaux consacrés aux représentations de l’enfant et de l’élève à l’école maternelle (voir : http://perso.univ-rennes2.fr/ghislain.leroy)
  • Julie Picard (maîtresse de conférences en géographie, ESPE d’Aquitaine), dont la présentation portera sur Images, pratiques et expériences sensibles de la ville par les adultes et les enfants : comment les exploiter pour mieux enseigner la géographie ?
  • Louise Sagot (doctorante en géographie, Université de Caen Normandie), dont la thèse s’intitule : Construction et pratiques de l’espace rural chez l’enfant : (se) représenter et (se) projeter (dans) un espace-temps transitoire. Etude expérimentale au sein du PNR Normandie-Maine (voir : http://journals.openedition.org/belgeo/19016).

Pour en savoir plus, consulter le blog de Jean-François Thémines


samedi 13 octobre 2018

La mémorisation et la géographie scolaire (depuis le XVIIIe siècle)

Jean-Pierre Chevalier. La mémorisation et la géographie scolaire (depuis le XVIIIe siècle). Colloque Mémoire et manuels scolaires, Archives départementales de l’Hérault, 8 et 9 décembre 2016, Montpellier.


Parler des processus et procédés visant à la mémorisation en géographie, c’est mettre de côté l’aspect mémoriel de la discipline, au sens de construction d’une mémoire commune à la nation, quand elle est devenue une discipline scolaire moderne avec la construction des états-nations. Une matière scolaire dont les dimensions idéologiques sont peu soulignées, surtout en comparaison de sa voisine l’histoire au point que pour certains elle était devenue une discipline de mémorisation de listes de noms, de statistiques, voire de localisations à placer. Ainsi, en 1976, Yves Lacoste, universitaire et auteur de manuels scolaires, dans un essai polémique à succès écrivait que pour nombre de ses contemporains la géographie était une discipline « bonasse et fastidieuse » où il n’y avait rien à comprendre, tout à apprendre. Nous ne reviendrons pas dans ces pages sur la dimension mémorielle de la discipline scolaire, mais sur le fait que, depuis au moins le XVIIIe siècle, de multiples procédés didactiques ont été mis en œuvre en vue de faciliter la mémorisation, dont certains étaient spécifiques à la géographie

Lire la suite sur HAL : http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01889407/document


CR de Mémoire de master MEEF Pratiques et ingénierie de formation


Christophe PAVIE, 2018, Quelle conscience de l’altérité disciplinaire dans la démarche de projet chez le sujet-enseignant de lettres ? Mémoire de Master MEEF Mention Pratiques et Ingénierie de la Formation, ESPE de l’Académie de Caen, Université de Caen Normandie, sous la direction de Pablo BUZNIC-BOURGEACQ, 106 p.

CR par Jean-François Thémines


Comme l’indique son titre, le mémoire de master [1] écrit par Christophe Pavie, formateur en lettres à l’ESPE de Caen, Université de Caen Normandie, ne s’inscrit pas dans le champ de la didactique de la géographie, mais il doit nous intéresser à trois titres.

Tout d’abord, s’attachant à explorer la problématique de l’interdisciplinarité pratiquée dans le secondaire, il rencontre des questions qui intéressent les didactiques de toutes les disciplines enseignées dans ce degré. Ensuite, c’est le mémoire d’un formateur en ESPE, mémoire qu’il a réalisé dans le cadre d’un Master MEEF Parcours et Ingénierie de Formation. L’exploration de thèmes de didactique dans ces mémoires est à encourager, tant la dimension didactique en formation initiale peut être rabattue par les étudiant.e.s sur des aspects d’ordre strictement technique ou prescriptif et, somme toute, faiblement conceptualisée. La compartimentation des enseignements de master MEEF n’est d’ailleurs pas étrangère à cette faiblesse de conceptualisation. Le principe « à chaque discipline sa didactique » prévaut et il reste à la charge de l’étudiant.e de conduire un travail de confrontation et de synthèse. Or, précisément, ce mémoire pose des éléments pour un dialogue entre didactiques des disciplines en formation initiale comme en formation continuée. Enfin, l’élaboration conceptuelle appelée Conception de l’Altérité Disciplinaire (CAD dans la suite du texte), peut contribuer, effectivement, à ce dialogue.

Le mémoire est construit en quatre temps. Le premier temps s’attache à explorer l’ancrage professionnel du travail de recherche, de manière à en élucider les enjeux. Celui, notamment, de construire une distance à l’objet nécessaire pour ne pas sur-interpréter le contenu d’entretiens réalisés auprès de professeures qui ont, tout comme l’auteur du mémoire, une longue pratique d’interdisciplinarité. Le deuxième temps détaille la construction de l’objet de la recherche à partir de son centre d’intérêt initial : le positionnement professionnel du professeur de lettres dans la conception et la mise en œuvre de projets interdisciplinaires. On retiendra notamment les résultats d’une enquête quantitative conduite auprès de 157 jeunes stagiaires de l’ESPE de Caen : « les stagiaires de lettres ont moins travaillé collectivement dans la formation initiale et sont plus sollicités que les autres dans les équipes pédagogiques » (Pavie, 2018, p. 23).

Le troisième temps est celui de la clarification du concept proprement dit. Bien évidemment, la CAD renvoie au concept de conscience disciplinaire, par lequel Yves Reuter et son équipe désignent « la manière dont les élèves (re)construisent la discipline » (Reuter, 2007, p. 41). Christophe Pavie s’approprie la notion en s’intéressant aux professeurs de lettres du secondaire et en la référant également à la notion de conscience chez Henri Bergson. L’idée de conscience doit alors être rapprochée de celle de choix : « les variations d’intensité de notre conscience semblent bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite » (Bergson, 1911/1919, p. 10-11). Être capable de choix en conscience, tel est ce qui guide l’auteur dans l’analyse de son parcours professionnel. Tel est ce qui guide aussi les professeurs, dans le travail collectif que suppose le montage et la conduite de projet. Reste l’altérité qui, en situation interdisciplinaire, est associée à la discipline de l’autre, celle du partenaire de projet. Christophe Pavie l’appréhende à partir d’expériences d’interdisciplinarité de recherche analysées par Claudine Blanchard-Laville : « Mais encore faut-il que ces chercheurs ne se trouvent pas simplement juxtaposés. Même convenablement organisés par un projet commun de recherche, ils doivent encore se montrer suffisamment polyglottes pour pouvoir effectivement comprendre et parler, un peu eux-mêmes, les langages disciplinaires de leurs coéquipiers » (Blanchard-Laville, 2000, p.56).

Finalement, pour Christophe Pavie, la « conscience de l’altérité disciplinaire, c’est envisager, prendre connaissance, se rendre compte de ce qui se passe en soi et hors de soi dans une conscience immédiate où l’on perçoit et réagit par rapport à notre environnement professionnel, en l’occurrence les collègues avec lesquels on construit un projet interdisciplinaire en même temps qu’une conscience réfléchie consistant à prendre conscience de soi-même en train de percevoir, en tant qu’enseignant d’une discipline ayant ses propres normes et confronté aux normes d’une autre discipline portée par un autre individu avec toute sa singularité et ses propres normes au même titre que moi-même » (Pavie, 2018, p. 25-26).

Le quatrième temps est celui, méthodologique et empirique, de la mise à l’épreuve du concept par l’analyse de deux longs entretiens non directifs menés avec des professeures de lettres habituées des projets interdisciplinaires. L’auteur s’appuie sur les Principes de linguistique générale d’Emile Benveniste pour organiser une analyse de discours qui lui permet de dégager quatre dimensions analytiques du CAD : 1° la construction du discours pendant l’entretien, 2° l’expression de soi et la présence de sa discipline, 3° le rapport entre je et l’autre (expression de l’action collective, présence du concept de projet, etc.), 4° l’expression de la présence de l’autre dans la même discipline que soi ou dans une autre.

Ces entretiens mettent en évidence trois aspects saillants des logiques de projet interdisciplinaire pour les sujets (enseignants) qui les conduisent : 1° la façon de se positionner et de positionner les autres disciplines dans le projet ; 2° l’anticipation ou non des difficultés rencontrées dans la conduite de projet ; 3° l’angoisse des professeurs face à la mise en place de projets, ce que le projet pourra révéler du je, du je et l’autre et de l’autre au moment de la production (ibid., p. 49-50).

Outre le raffinement et le potentiel dialogique du concept, je retiens également un résultat important de ce passionnant travail d’exploration d’interdisciplinarités en milieu scolaire : le fait que des professeures aguerries ne recourent pas aux conceptualisations didactiques disciplinaires dont elles maîtrisent très certainement le sens, lorsqu’il s’agit de penser leurs propres situations professionnelles en interdisciplinarité.

Le formateur, le chercheur en didactique de la géographie (ou de l’histoire), le professeur d’histoire-géographie ne manqueront pas d’être interpellés par la façon dont une des professeures de lettres raconte comment, avec sa collègue de projet en histoire-géographie, elle a réglé la question de l’analyse du diaporama (à faire produire par les élèves et à évaluer) qui, d’une certaine façon, s’interposait entre elles deux.

« Au mois de février, on s'est rendu compte que parfois on n'était pas tout à fait au clair sur certaines choses bien précises. Par exemple, on attendait un diaporama mais qu'est-ce qu'on attendait dans le diaporama […] Et donc on a terminé les oraux lundi dernier avec, en collaboration avec le professeur d'Histoire donc, on était deux et la documentaliste pour une autre heure. Donc, là on a travaillé ensemble pour évaluer. Moi j'évaluais l'analyse de l'image et l'interprétation, ma collègue évaluait le diaporama » (extraits d’entretien).

On saisit la difficulté de ces deux professeures à parler la langue de l’autre. Ce qui leur aurait permis de s’entendre sur le fait qu’elles ne s’intéressent prioritairement ni l’une ni l’autre au support (le diaporama en tant que suite organisée de diapositives composées de textes et d’images articulés), mais bien plus, sans doute, au discours qu’y déploient leurs élèves (la capacité à exprimer un point de vue qui atteste d’une décentration [pluri- et inter-] disciplinairement construite par rapport aux catégories et représentations communément admises sur un sujet donné). Or, de ce discours, la professeure de français devient la seule évaluatrice, en mettant en avant des contenus d’analyse de l’image. Ce qui, semble-t-il, n’a pas été travaillé, en tout cas pas anticipé, c’est la possibilité que les deux professeures et « leurs » disciplines cadrent différemment – et complémentairement dans le cadre d’un projet interdisciplinaire - les exigences scolaires en matière de production de discours d’élèves.

Ce qui, finalement, frappe dans ces entretiens et l’analyse qu’en propose Christophe Pavie, c’est la faible porosité 1° entre pratiques d’enseignement disciplinaire (où la distinction support/discours permet de concevoir le travail des élèves avec des documents) et pratiques de projet interdisciplinaire (où la distinction conceptuelle support/discours devient une ligne de front interdisciplinaire) ; 2° entre recherches en didactiques attachées à nourrir les dialogues interdisciplinaires scolaires et pratiques enseignantes. S’agissant de lettres et d’histoire-géographie, on pourra signaler quelques-uns des croisements opérés de longue date par des spécialistes des didactiques de ces disciplines (Reuter, 1998 ; Reuter et Tauveron, 2000 ; Nonnon et Quet, 2012).

Le travail de Christophe Pavie contribue à ce que cette porosité se développe « pour aider les enseignants à régler ce qui est souvent réduit au problème du manque de temps. C’est, en effet, un facteur important mais qui pousse les enseignants à évacuer l’essentiel – ce qui ressort des entretiens – c’est-à-dire le manque d’outils, de connaissances et de méthodes conscientisées et maîtrisées pour travailler en commun en tenant compte des autres disciplines de façon efficace et épanouissante pour toutes les parties prenantes des projets mis en place » (Pavie, 2018, p. 64).

Rappelons que des chercheur.e.s en didactique de la géographie ont contribué et contribuent à ce que cette porosité se développe. C’est tout particulièrement le cas de Christine Vergnolle-Mainar et de son équipe, sous deux versants. Celui tout d’abord d’une approche historique des rapports interdisciplinaires, laquelle peut aider les enseignants à se déprendre de l’évidence des positionnements contemporains des disciplines enseignées au collège et au lycée. Celui aussi de collaborations effectives sur des « objets-frontières » que favorisent les trajectoires passées et présentes des disciplines, en particulier entre géographie, sciences de la vie et de la terre et arts plastiques (Vergnolle-Mainar, 2011 ; Vergnolle-Mainar, Calvet et Michineau, 2014).


Références bibliographiques

Henri Bergson, 1911/1919, La conscience et la vie. L’énergie spirituelle. Paris : Presses Universitaires de France (rééd., 1993).

Claudine Blanchard-Laville, 2000, De la co-disciplinarité en sciences de l’éducation. Revue française de pédagogie, n°132, p. 55-66. URL :
http://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2000_num_132_1_1033

Élisabeth Nonnon et François Quet (dir.), 2012, Œuvres, textes, documents : lire pour apprendre et comprendre à l'école et au collège. Repères, n°45. URL
http://journals.openedition.org/reperes/128

Yves Reuter (dir.), 1998, La description. Théories, recherches, formation, enseignement. Villeneuve d’Asq : Editions du Septentrion.

Yves Reuter (dir.), 2007, Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles : de Boeck.

Yves Reuter et Catherine Tauveron (dir.), 2000, Diversité narrative. Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, n°21. URL :
http://www.persee.fr/issue/reper_1157-1330_2000_num_21_1

Christine Vergnolle-Mainar, 2011, La géographie dans l'enseignement. Une discipline en dialogue. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Christine Vergnolle-Mainar, A. Calvet, Didier Michineau, 2014, Le paysage en collège : entre construction de l’espace et symbolique des territoires, M@ppemonde, n°113. URL :
http://mappemondearchive.mgm.fr/num41/articles/art14102.html



[1] Les parcours des mentions Pratiques et Ingénieries de Formation de master MEEF sont destinés à former des formateur.trice.s.

 

dimanche 7 octobre 2018

CR L’Information Géographique – Faut-il encore enseigner la géographie à l’école ?

Volume 82 – Septembre 2018
L’Information Géographique – "Faut-il encore enseigner la géographie à l’école ?"

 CR de Xavier Leroux

Sommaire du numéro
(éditorial et résumés à lire en ligne)

  • Introduction Faut-il encore enseigner la géographie à l’École ? - Sylvie Joublot Ferré - résumé
  • Pour une ethnographie des savoirs géographiques à l’école élémentaire - Alexandra Baudinault - résumé
  • Tomber dans la cour de récréation : La « bonne figure » à l’épreuve de l’espace - Muriel Monnard - résumé
  • Quand les albums parlent d’espace Enseigner la géographie avec le livre pour enfants - Christophe Meunier - résumé
  • Visages en ville, déambulations photographiques pour enseigner l’espace proche - Sylvie Joublot Ferré - résumé
  • Géographie scolaire et pensée de la complexité - Philippe Hertig - résumé
  • Former à l’enseignement d’une géographie renouvelée à l’école primaire. L’exemple des Lesson Study - Alain Pache, Sandrine Breithaupt, Julie Cacheiro - résumé
  • Le cheminement intellectuel et pratique d’un maître non spécialiste confronté à la préparation de séances de géographie au cycle 3 de l’école primaire - Philippe Charpentier - résumé
  • Regard sur la géographie enseignée à l’école primaire : Une étude de cas au cycle 3 - Anne Glaudel - résumé

Si au travers de l’éditorial de ce numéro (signé par Hervé Régnault), la revue L’Information Géographique se targue de « l’importance qu’elle accorde à l’enseignement et aux enseignants qui transmettent le goût de la géographie aux élèves » en consacrant chaque année un numéro aux concours de l’enseignement secondaire et en allant ici plus loin en proposant un opus réservé à l’école primaire (réalisation accompagnée par Michel Lussault), la formulation du titre « Faut-il encore enseigner la discipline ? » interpelle d’emblée : mépris envers le 1er degré, tout de même pas ; volonté de sonner provocateur et faire réagir, on peut l’espérer ; boutade maladroite assurément. Très certainement que nos collègues de 6ème n’ont pas de doute sur l’utilité d’enseigner l’habiter puisque son étude débute désormais en CM1 dans le cadre du nouveau cycle 3 et il est plus que probable qu’ils aimeraient que la géographie soit davantage investie à l’école primaire pour leur faciliter la tâche. Seulement la discipline n’est pas la priorité des professeurs des écoles et (parce que ?) l’accompagnement de son enseignement apparaît défaillant.

Les huit articles contenus dans ce numéro regorgent pourtant de pistes et de témoignages suscitant réflexion et inspiration pour répondre un « oui » franc à la question : il faut encore l’enseigner !

La géographie en primaire ne se résume pas au déterminisme, aux facteurs explicatifs et aux causalités simples mais a, comme dans le secondaire, droit à son lot de complexité (« complexe » ne veut pas dire « compliqué »), à un peu d’approche systémique et à quelques concepts forts, intégrateurs. Les nouveaux programmes nous y invitent naturellement en consacrant la prospective territoriale et les acteurs, deux points qui bouleverseront (ou pas) les habitudes des enseignants du primaire. Ces éléments, illustrés au travers de l’exemple du développement durable et appuyés par des apports bienvenus de travaux de la communauté scientifique germanophone, sont lisibles dans la contribution de Philippe Hertig qui permet de prendre la hauteur théorique nécessaire pour bien cadrer les choses.

Les autres textes relatent des expérimentations de classe basées sur des immersions in situ très variées dans leur mode opératoire : observation participante, entretiens semi-directifs et d’auto-confrotation, tests de séances, de séquences dans et à l’extérieur des classes.

Les contributions de Anne Glaudel, Philippe Charpentier et Alexandra Baudinault offrent un regard précieux pour cerner ce professeur des écoles non géographe devant enseigner la discipline. Une vraie terre de contrastes : des savoirs factuels peu en lien avec l’épistémologie de la discipline malgré une valorisation de sa finalité intellectuelle ; une volonté de se lancer dans la démarche d’investigation mais une difficulté à conserver les hypothèses des élèves lorsque la trame du travail, sécurisante, est déjà prête à l’avance ; un secours du manuel qui joue le double rôle de mise à niveau scientifique pour l’enseignant et de fournisseur de scénarios pédagogiques pour les élèves ; une tension entre l’usage du numérique et le recours aux activités matérielles plus traditionnelles (cartes coloriées à la main) qui structureraient mieux la pensée relative à l’espace.

La géographie dans la classe, ce peut être des méthodes nouvelles : la Lesson Study qui vise à préparer une leçon, à l’enseigner sous l’observation de ses pairs, puis à l’analyser pour enfin l’enseigner à nouveau dans une autre classe. C’est ce que Alain Pache, Sandrine Breithaupt et Julie Cacheiro ont testé sur les thèmes des aménagements spatiaux pour les animaux et de la filière production-consommation pour travailler davantage « avec » les enseignants que « sur » les enseignants et pour montrer que la géographie ne se recompose pas seulement au travers de ses contenus mais aussi de ses dispositifs. La géographie dans la classe, ce peut être aussi l’usage d’un objet familier, l’album jeunesse, dont la dimension spatiale peut être pleinement saisie pour développer des compétences spatiales chez les futurs citoyens que sont les élèves de primaire : Christophe Meunier fait l’hypothèse qu’une « transaction spatiale » viendrait à modifier les représentations et les comportements spatiaux du jeune lecteur.

La géographie peut également se pratiquer hors de la classe. A une échelle résolument micro, Muriel Monnard montre que l’espace scolaire (défini comme très fragmenté, fait de cohabitation contrainte et de convivialité) peut être investigué pour appréhender les métriques et mobilités de l’espace : à travers une « lutte des places » et des chutes accidentelles qui peuvent survenir lors des déplacements (dans la cour, dans les couloirs et les escaliers, en rentrant dans la classe…), les élèves conscientisent les notions de justice spatiale et d’aménagement de l’espace. A échelle intra-urbaine, l’analyse des visages visibles dans la ville (statues, affiches publicitaires) permet de s’appuyer sur un objet d’étude singulier pour revisiter la sortie de classe et lire l’espace : Sylvie Joublot Ferré montre qu’on peut y voir si celui-ci est majoré ou déprécié, s’il est genré, si des centralités se dessinent ou non…De quoi permettre aux élèves de se situer spatialement mais aussi socialement, culturellement et de quoi réinterroger la supposée familiarité des enfants avec leur espace proche.

Un numéro dont la lecture est roborative, mais qui appelle remarques et questions.

On pourra déjà s’étonner de l’absence d’appel à contributions pour le réaliser…

Sur la forme, il semble qu’une relecture globale du numéro aurait permis d’éviter diverses coquilles qui émaillent les textes par deux ou trois fois chacun en moyenne : orthographe, numérotation dans les figures, mauvais raccords bibliographiques ou références non reprises après appel.

Mais surtout, pour en revenir au titre, ne peut-on pas plutôt clore avec cet appel « comment / avec quels moyens (encore) enseigner la géographie à l’école » ? Dans un contexte où les dernières injonctions vont structurer les 18 heures de formation continue obligatoires autour des seuls domaines du français et des mathématiques et où les ateliers pédagogiques complémentaires ne traiteront que de la lecture, combien de professeurs des écoles liront ce numéro (au-delà de ceux rencontrés par les chercheurs ayant participé à ce numéro qui, espérons-le, feront parler de leur expérience) ? De ce fait, combien de « passeurs » dans les ESPE et Universités s’en saisiront en formation initiale ? La question se pose puisque, si toutes les interrogations posées dans les contributions peuvent apparaître (ou non) pertinentes aux yeux du chercheur, les situations et expérimentations qu’elles relatent ne sont pas d’une transposabilité identique du point de vue du praticien…surtout si celui-ci est débutant.



CR de la thèse d'Alexandra Baudinault

Géo-graphies en mouvements. Pour une ethnographie des savoirs géographiques à l'école élémentaire  - Alexandra Baudinault

CR de Xavier Leroux

Lien vers la thèse : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01663917

Présenté en 2017, le travail d’Alexandra Baudinault rejoint les quelques travaux de thèses et HDR récents consacrés explicitement à l’enseignement de la géographie à l’école élémentaire. Aux entrées didactiques (Philippot, 2008 ; Charpentier, 2014 ; Serrieres-Glaudel, 2016), à l’approche sensible par la sortie (Briand, 2014), à l’analyse des albums pour enfants (Meunier, 2014) et à la lecture historique et épistémologique (Chevalier, 2003), s’ajoute ici une plongée ethnographique dans les savoirs géographiques réellement enseignés en classe.

Basée sur l’observation d’une enseignante de CM1 pendant deux ans ainsi que sur des analyses de blogs et forums, la recherche offre le premier mérite de dépeindre fidèlement les us et coutumes des professeurs des écoles dans leur relation à l’enseignement de cette discipline qui ne constitue pas leur priorité première.

Pour en être, je reconnais là parfaitement cette population décrite comme pressée par le temps ; privilégiant la recherche sur internet ; mixant plus ou moins habilement les fiches toutes faites et celles ayant été élaborées de manière personnelle mais surtout une population ayant envie (et surtout besoin ) de réutiliser ce qui a été préparé par le passé. Ce point est très saillant. L’auteure de cette thèse le met bien en évidence à la lumière des programmes (les précédents de 2002 étaient toujours appliqués alors que ceux de 2008 étaient déjà parus) mais surtout à travers le choix des supports : on mise sur le « faire faire » (un graphique, un croquis de paysage) car ces gestes matériels plaisent aux élèves, remplissent le temps efficacement et apparaissent ainsi « utiles » à l’enseignant… finalement sans doute au détriment des contenus eux-mêmes comme semble le déplorer Alexandra Baudinault.

Ces constats sont explicables par un second élément que la thèse traduit bien : la méconnaissance et la non reconnaissance de la spécificité de l’élémentaire dans le processus d’enseignement de la géographie. Cela démarre de l’aveu même de l’auteure d’avoir débuté sa carrière de formatrice comme agrégée ayant préalablement travaillé dans le second degré sans expérience du 1er degré ; d’une remarque qui n’est pas si anodine concernant l’expression « sur le terrain » (qui montre que, dans l’imaginaire collectif, les formateurs de l’IUFM/ESPE ne sont pas « sur le terrain » car n’ayant pas/plus la charge d’une/plusieurs classe(s) ) ; de la sollicitation des seuls historiens par le CSP pour éclairer la fabrication des actuels programmes ; de l’incapacité des concepteurs des livrets d’évaluation du SCEREN à penser d’autres compétences pour la géographie que celle qui vise à « identifier les principales caractéristiques de la géographie de la France » ; de la proportion minoritaire des communications relatives au primaire dans les colloques de didactique de l’histoire-géographie ; du fait que la recherche en didactique de la géographie à l’école élémentaire apparaît récupérée par le secondaire et les associations de spécialistes [1] après avoir été préalablement précurseure. La lueur d’espoir n’est-elle pas à chercher du côté du nouveau cycle 3 qui permet aux mondes du primaire et du secondaire de désormais se rencontrer ?

Les causes de ces dysfonctionnements sont également bien montrées par le jeu des acteurs en présence. Cela passe par la transmission très verticale de programmes très changeants, présentés sans médiation, et désormais de manière dématérialisée, ce qui n’est pas sans gêner des enseignants non spécialistes de la discipline encore attachés à la possibilité d’apposer des annotations. L’offre éditoriale est dominée par quelques grandes maisons comme Hatier et Hachette avec des collections ayant pignon sur rue depuis longue date et fonctionne sur un circuit parallèle à celui de la production de la recherche en didactique qui, de toutes façons, n’irrigue que très peu car les enseignants du 1er degré se tournent davantage vers les pédagogues. Les IEN et circonscriptions n’ont pas l’enseignement de la géographie comme priorité dans le peu de formation qu’ils ont à offrir. Conséquence sans appel : le recours au blogs et aux forums devient doucement la norme pour la préparation des séances : un bon compromis entre le tempo politique que les enseignants ont du mal à suivre et la lente « infusion » des savoirs dans leurs pratiques à l’échelle longue d’une carrière. Les professeurs des écoles y collaborent, y mutualisent, y font circuler les savoirs, les enseignants blogueurs s’y sentent légitimes grâce à leurs savoirs de « praticiens », les consommateurs de ces ressources y trouvent satisfaction.

Au-delà de ces éléments formels et institutionnels, la thèse est l’occasion d’observer quels contenus sont aujourd’hui proposés en géographie, comment et pourquoi les enseignants butent parfois, voire souvent sur cet obstacle. Face au tournant épistémologique des programmes de 2008 et 2015 qui consacrent les acteurs, qui s’intéressent aux processus davantage qu’aux résultats, qui cherchent à faire développer une conscience spatiale, qui présentent les choses sous forme de verbes d’action (se loger, se déplacer…), quelles grandes questions animent les enseignants et quelles types de réponses ou de solutions tentent-ils d’apporter sur le terrain des pratiques ? Il y a par exemple des propositions sur la question des échelles avec l’idée que la proximité affective serait plus pertinente que la proximité spatiale (proche serait ainsi synonyme de familier) ou sur la tension entre le « concret » et « l’abstrait », le « réel » et le « visible » (une enseignante de centre-ville trouvera plus pertinent de travailler le littoral ou la montagne car l’environnement proche est dominé par des activités de service qui apparaissent invisibles aux élèves). Un autre gros axe de travail se situe sur la lecture et la construction des documents : « observer » sans « lire » revient à assimiler au réel. Le fait également de passer d’une graphie à une autre permet de faire des opérations mentales de géographe et de ne pas s’interroger avec davantage de finesse sur les documents. Trop de cartes sont présentées comme « allant de soi » sans pouvoir porter une critique sur leur contexte de production. Il en est de même pour les photographies de paysages où l’on questionne en général le lieu ou l’angle de la prise de vue mais rarement l’auteur et son intentionnalité.

Des pistes, c’est certain, malgré les doutes de son auteure sur sa portée dans son projet de recherche initial (« pourtant en géographie, nous ne faisons que des constats, nous ne proposons guère de solutions », p 14) pour ce travail agréable à lire mais qui n’échappe pas à quelques longueurs à l’image du très long déroulé d’un chapitre 6 qui dépeint dans des détails extrêmes les papiers, calques, crayons et stylos mobilisés par les élèves, même s’il est évident que le geste aide à structurer la pensée et ce, en tenant compte de toutes ces étapes de réalisations des cartes. S’il s’agit là d’une recherche tournée en direction des enseignants et non des élèves de manière assumée, leur présence est inévitable. Et si la classe de l’enseignante observée est essentialisée, il est tout de même question dans l’une des trois focales [2] retenues de la « faisabilité pédagogique » des séances observées (chapitre 7) : n’y a-t-il pas là tout de même une lecture de l’ordre du didactique même si l’auteure s’en défend ? De même, le chapitre 5 sur « l’ordre des faire » interroge ce qu’ « on » fait pendant les séances de géographie…enseignants et élèves donc…

En définitive, cette production supplémentaire consacrée à la géographie à l’école élémentaire, souhaitons-le, aidera à faire prendre conscience de la très délicate situation dans laquelle se trouve cette discipline dans ce niveau scolaire : l’occasion d’ouvrir tant d’autres chantiers qui pourraient amener à des sujets de mémoires et de thèses relatant des expérimentations dans les classes pour aider à la professionnalisation de professeur.e.s des écoles devant suivre les évolutions de l’enseignement de la discipline sans réel accompagnement.


BRIAND, M. (2014). La géographie scolaire au prisme des sorties : pour une approche sensible des sorties à l'école élémentaire, thèse de doctorat de géographie de l'Université de Caen Basse-Normandie, sous la direction de Jean-François Thémines. En ligne

CHARPENTIER, P. (2014). L'activité de préparation des séances de classe par les maîtres polyvalents du cycle 3 de l'école primaire : l'exemple de la géographie. Thèse de doctorat de l'Université de Reims Champagne-Ardenne.

CHEVALIER, J-P. (2003). Du côté de la géographie scolaire. Matériaux pour une épistémologie et une histoire de l’enseignement de la géographie à l’école primaire en France. Paris 1, 2003.

MEUNIER, C. (2014). Quand les albums parlent d'espace. Espaces et spatialités dans les albums pour enfants, Thèse de doctorat de géographie de l'Université de Lyon 2, sous la direction de Michel Lussault.

PHILIPPOT, T. (2008). La professionnalité des enseignants de l'école primaire : les savoirs et les pratiques.. Université de Reims - Champagne Ardenne. En ligne

SERRIERES-GLAUDEL, A. (2016). L'"activité didactique" des enseignants de l'école primaire: étude de cas en géographie. Thèse de doctorat de l'Université de Reims Champagne-Ardenne, sous la direction de Gilles Baillat.


[1] Quelques professeurs des écoles font tout de même partie de l’effectif chez « Les Clionautes ».

[2] 1/ la faisabilité pédagogique, 2/ le degré d’innovation, 3/ le rapport au réel.

Colloque pédagogique SNUIPP : Liberté pédagogique illustrée


Vendredi 30 Novembre de 9h à 16h A la bourse du travail à Lille 
 
En présence notamment de Rémi BRISSIAUD et Xavier LEROUX


Dans un contexte où la liberté pédagogique en primaire est questionnée par l'institution au travers de la mise en place d'évaluations non conçues par les enseignants, d'une méthode de lecture définie pour le CP, de modifications de programme trop tardives pour être appropriées efficacement, l'enseignement de la géographie, comme celui d'autres disciplines "secondaires" d'ailleurs, est également touché. Mais d'une façon différente puisque le nouveau programme de 2015 qui consacre "l'habiter" se veut tout à fait ouvert dans sa façon d'appréhender la discipline et laisse une large marge de manoeuvre à l'enseignant pour concevoir séquences et supports. Le problème vient du fait que la formation continue, désormais réduite aux seuls champs des mathématiques et du français, occulte cette géographie renouvelée dont les professeurs des écoles, généralistes par essence, ne sont pas familiers. D'une certaine manière, la liberté de concevoir est entravée par le fait de ne pas être accompagné pour appréhender la discipline avec sérénité. C'est au travers d'une réflexion théorique accompagnée de beaucoup d'exemples concrets que cette intervention entend proposer des réponses pour que la géographie soit enseignée dans les classes avec un sentiment de maîtrise suffisant pour susciter l'intérêt des élèves et développer leurs compétences spatiales.

samedi 6 octobre 2018

Enseigner, c'est dé-ranger

"J’aurai dû compter, compter les tables, compter les sièges. Combien peut-on « ranger » d’étudiant(e)s dans cette salle ? Une centaine ? Le mobilier est simple : une série de tables uniques de 5 ou 6 mètres de long solidement arrimées au sol et un alignement de sièges identiques fixés à la table qu’ils précèdent..."

"Comme si Foucault n’était pas passé par là. Surveiller et punir. Les prisons ressemblent aux écoles qui ressemblent aux casernes qui ressemblent aux hôpitaux. Tous les lieux d’enfermement, de coercition, de dressage, de formatage, de contrôle ont adapté leurs espaces à leurs projets ; comme l’école française qui a adapté ses formes à la mise en place de l’enseignement simultané vers le milieu du XIXe siècle..."

Lire le billet de Pascal Clerc sur son blog Géographie(s) buissonnière(s)