Sous la direction de Marie-Claire Robic et Muriel Rosemberg avec les
contributions de Bertrand Pleven, Arnaud Brennetot, Julien Champigny, Guilhem
Labinal, Caroline Leininger-Frézal, Didier Mendibil, Marielle Wastable
Nouvelle ressource pouvant
accompagner la mise en place des nouveaux programmes de collège de 2015 mais
pensée de manière plus large pour traiter de l’enseignement de la géographie en
collège et en lycée, cette copieuse publication de 9 chapitres et plus de 300
pages s’adresse « aux jeunes (ou futurs) professeurs d’histoire et de
géographie » avec l’ambition de leur proposer fondements théoriques et
applications destinées au travail en classe.
Fruit du travail de dix rédacteurs,
l’ouvrage s’ouvre sur une longue introduction visant à cerner les contours de
la discipline, son insertion désormais actée dans le champ des sciences
sociales, son regard renouvelé envers les questions naturelles depuis le
glissement de l’étude de leurs faits vers les sciences de la vie et de la
Terre. Conclusion intéressante de cette mise au point : des définitions
par la négative qui permettent de sortir des clichés (pp 48-49).
Le cœur du livre décline de
nombreuses façons de faire, des entrées thématiques mobilisant des supports
commençant aujourd’hui à rentrer dans les usages : l’art, par exemple,
permet d’évoquer avec le cinéma, la BD ou encore la littérature, les
spatialités des individus au travers des narrations et des illustrations. On
peut notamment y travailler des parcours d’individus comme cela est proposé
très concrètement pour le roman policier « Total Kheops » de
Jean-Claude Izzo (pp 133-134).
L’étude des supports
s’approfondit lorsqu’il est question de s’interroger sur le « statut
didactique particulier » (p 297) de certains d’entre eux : les
documents d’aménagement (chap. 9, point II), les médias d’actualité (chap. 4,
point I), les magazines de géographie « grand public » (chap. 4,
point II). La déconstruction des discours produits par ces documents doit
servir à l’apprentissage des représentations, de la confrontation des points de
vue, de la (non) mise à distance. Autant de démarches qui contribuent à
développer le regard critique de l’élève et à lui faire conquérir un peu plus son
autonomie. Et il est ici bon de rappeler « qu’un document n’est jamais
vraiment géographique en lui-même, il le devient sur la base des interrogations
que l’on formule à son sujet » (p 161). Cela est d’autant plus important à
souligner que ces documents trouvent généralement une place de choix dans les
manuels. Ainsi la mise en page, le rapport texte-image, les cadrages
photographiques sont loin d’être neutres dans la conception des outils destinés
à l’élève. Des indicateurs d’analyse existent comme « l’imagement »
(p 97) qui, sur la question des images, permet de cerner la part des
illustrations dans les pages d’ouvrages, le choix des lieux, l’ordre de
défilement et le lien avec le texte principal.
Le livre propose également un
bel éclairage sur divers concepts de la discipline, notamment les composantes
du raisonnement géographique : le modèle hypothético-déductif y est bien
décortiqué (p 65), les systèmes complexes aussi (p 66). Le fait que la
signification des concepts peut souvent renvoyer à un véritable flou artistique
est abordé de manière originale avec l’étude des résultats d’une recherche de
mots clés sur google images (chap. 5, point II) : le côté esthétisant des
images proposées perturbe la donne, la comparaison avec la langue anglaise
également. Le cas problématique du développement durable est bien épluché
(chap. 9, point III) : notion ni scientifique, ni géographique mais bien
politique, elle ne prend pas en compte les acteurs ni les interactions et fait
intervenir des temporalités bien souvent non concordantes. Les trois piliers ne
peuvent pas vraiment se concilier.
Le regard sur les textes des
programmes est porté aussi avec une dimension analytique : le thème de
l’aménagement montre qu’il n’est pas évident pour le législateur de trancher
entre angélisme et fatalisme (pp 286-287), entre une vision prescriptive et une
vision plus engagée. Plus qu’un obstacle, il y a là une occasion de répondre au
« défi pédagogique » posé par cette entrée : en étudiant
différents scénarios, différents choix, on peut travailler l’étude de l’écart
entre les objectifs affirmés d’une stratégie et les arbitrages de terrain. La
lecture globale des textes officiels sert également à montrer qu’un objet
d’étude peut prendre des acceptions très variées selon les différentes parties
du programme dans lesquelles il se situe : cas du développement durable en
5ème (acception faible) et en 2nde (acception forte).
Enfin, le dernier apport
majeur de l’ouvrage tient à la prise en compte de la progressivité des
apprentissages. C’est sans doute ce point qui rend le mieux hommage au
sous-titre du livre souhaitant faire le lien entre le collège et le lycée.
Cette façon de procéder est abordée sur le thème de la ville (chap. 6, point
II) mais réellement détaillée avec minutie sur la question cartographique
(chap. 2, point II). Et on ne boudera pas son plaisir au sujet des quelques
incursions dans le monde du primaire qui, désormais se raccroche au collège par
le biais du cycle 3 : ici, c’est même à l’échelle de la jonction cycle 1 et
cycle 2 qu’un paradoxe important est soulevé : « les élèves de
maternelle sont de fait mobiles, c’est ensuite en cycle 2, alors que cette
mobilité est plus réduite, qu’on leur donne les « clés » de
l’espace » (p 73). De quoi réinterroger sérieusement le statut du
déplacement dans les classes et à l’extérieur des établissements.
Des apports solides donc sur
les questions des concepts, des supports, des programmes et des progressions.
Toutefois, on pourra regretter un certain déséquilibre dans le poids des
chapitres, notamment un très maigre volet sur la France des marges (question
pourtant apparue au programme du CAPES et de l’agrégation) et certains points
dont l’exploitation en classe n’est pas proposée comme c’est le cas souvent
ailleurs. L’équipe composite montre également des degrés différents de
connaissance du monde scolaire et de ses réalités, ce qui dessert également un
peu la cohérence générale du texte tout comme le fait que certaines plumes
s’avèrent très exigeantes alors que le texte, rappelons-le, s’adresse
prioritairement aux novices. Ceci étant, rien n’empêche aux enseignants
confirmés et aux formateurs de s’y plonger et d’y prélever la riche matière qui
s’y trouve pour y géographier le monde d’aujourd’hui et de demain.