Organisé autour de deux parties (« Géographies du travail enseignant » et « Nouvelles frontières professionnelles à l’École et en dehors de l’École », cet ouvrage collectif issu du séminaire ESTER (Espaces et Territoires) dirigé par Thierry Philippot et Jean-François Thémines expose le projet séduisant de mobiliser quelques concepts essentiels de la géographie (territoire et frontière surtout), dans un contexte de renouvellement épistémologique autour de la notion d’habiter, le tout au service de l’analyse d’un travail enseignant fortement bouleversé depuis quelques années.
Les contributions offrent des terrains variés (celui de la classe dans sa forme la plus classique bien sûr mais d’autres comme la prévention du décrochage scolaire, l’inclusion des ULIS, la promotion de la santé…) dans des cadres spatiaux (collèges urbains, RPI…) et temporels (des dispositifs arrivés à terme comme la réforme des rythmes scolaires ou le dispositif PMQC ou d’autres ayant encore cours) également diversifiés. Les méthodologies employées sont également variées entre les entretiens, les études d’impact, les carnets ou les photographies commentées.
On saisit bien au fil de la lecture que le territoire d’exercice des enseignants n’est plus le sanctuaire qu’il a été du fait de l’apparition de nouveaux acteurs contribuant, de manière injonctive (et c’est une donnée centrale à prendre en compte), à de nouvelles formes de co-enseignement.
La conséquence est ambivalente : positive parce qu’elle croise de manière enrichissante les cultures de travail et contribue à améliorer une identité professionnelle des enseignants généralement faible du fait d’une vie solitaire ponctuée de visites généralement infantilisantes ; négative parfois ou du moins déstabilisante car le partage de territoire, parfois vécu comme une réelle dépossession, ne se fait pas sans tensions de divers ordres.
Le statut des co-intervenants entre naturellement dans l’équation : qu’il s’agisse d’assistants d’éducation, d’animateurs chargés des temps périscolaires ou de pairs comme les enseignants surnuméraires du dispositif PMQC, la légitimité n’est pas la même et l’acceptation du partage de territoire et des tâches à accomplir s’en trouve facilitée ou non.
L’espace de travail apparaît donc condition et ressource. Les reconfigurations engendrées dans son occupation amènent inévitablement des reterritorialisations, des établissements de frontières plus ou moins poreuses. Et comme le disait George Perec (2000) cité dans la contribution de Cédric Aït-Ali et Ludivine Germa : « Vivre c’est passer d’un espace à l’autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner ». Le « territoire éducatif partagé » (Marcel) ne se décrète pas et ne se laisse pas définir facilement.
Un travail dans lequel on rentre bien sur la forme (la lecture cumulative des textes se fait de plus en plus éclairante au fur et à mesure qu’on les parcourt - on ressent bien là qu’il ne s’agit pas d’un format colloque ou les contributions sont juxtaposées artificiellement mais que le format séminaire offre le réel intérêt d’un partage de référents théoriques qui aide le lecteur à s’y repérer) mais également sur le fond puisqu’il offre une opportunité à la géographie de sortir du cadre dans lequel elle est habituellement circonscrite pour participer à la réflexion d’un autre champ, celui des professionnalités enseignantes et de leurs espaces mouvants.
Table des matières
Introduction générale : Jean-François THEMINES, Thierry PHILIPPOT, Anne-Laure LE GUERN – Une approche géographique du travail enseignant Première partie : Géographies du travail enseignant
Chapitre 1 : Thierry PIOT – Nouveaux territoires pour l’agir professionnel des enseignants : l’exemple de la prévention contre le décrochage scolaire en collège.
Chapitre 2 : Anne GLAUDEL – Espace – activité – discours : comprendre les discours d’enseignants de l’école primaire en situation didactique
Chapitre 3 : Thierry PHILIPPOT – L’habiter : une entrée pour penser les évolutions du travail enseignant à l’école primaire
Chapitre 4 : Jean-François MARCEL – Eléments de modélisation du partenariat en éducation. Pratiques, collectif de travail et territoire partage Seconde partie : Nouvelles frontières professionnelles à l’École et en dehors de l’École
Chapitre 5 : Jean-François THEMINES – Ce que la réforme des rythmes scolaires a changé au travail de professeurs des écoles : une approche par la géographie
Chapitre 6 : Karine BONNAUD – Le territoire partage à travers un collectif d’enseignants, étude d’impact et réforme des rythmes scolaires
Chapitre 7 : Cédric AÏT-ALI, Ludivine GERMA – Regards d’enfants sur les frontières éducatives. Présentation d’un outil méthodologique
Chapitre 8 : Eric SAILLOT – Enjeux de territoires et nouvelles professionnalités au sein des dispositifs « plus de maitres que de classes »
Chapitre 9 : Carine SIMAR, Corinne MÉRINI, Marie-Renée GUÉVEL – Le travail en situation d’intermétiers aux confins des territoires : dynamiques des interactions dans le cadre d’un dispositif de promotion de la sante
Conclusion générale : Jean-François THEMINES, Anne-Laure LE GUERN – Géographies de professionnalités en mouvement : de la recherche à la formation
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