Le monde à hauteur d’enfants : les programmes de géographie scolaire en contexte pandémique
Ce mercredi 24 février 2021 s’est tenu un séminaire de l’atelier « Faire territoire, faire société » abrité par l’UMR 5600 Environnement Ville Société. Quatre communications portant sur des niveaux scolaires différents se sont succédées.
1. La construction des repères spatio-temporels en maternelle à l’épreuve du.des confinements (Alexandra Baudinault, PRAG à l’INSPE de Paris)
Le confinement a également mis en lumière des inégalités numériques. L'envoi numérisé de documents sur la structuration du temps et de l’espace était-il salutaire pour des compétences qui prennent corps justement dans le cadre de l’école ? Ne valait-il pas mieux « faire confiance » aux parents et en profiter pour les laisser se charger de certains apprentissages, notamment ceux-ci ? Quoi qu’il en soit, la configuration des lieux d’habitation a eu son importance puisque des études montrent que certains indicateurs, comme la relation parents-enfants, étaient corrélée à la présence d’un balcon ou d’un jardin qui permettait de passer moins de temps devant les écrans et donc de s’en trouver plus épanouis.
Les apprentissages relatifs au temps et à l’espace sont, en France, explorés dès le début du cycle 1 et sont guidés par l’expérience et l’exploration comme le suggèrent les programmes. Il y a pu avoir une sorte de « soupape » de décompression au travers de l’attestation dérogatoire qui permettait à chacun de sortir, dans la limite quotidienne d’un rayon de 1 km : une structuration de l’espace-temps « forcée » mais potentiellement plus sécurisante/rassurante car effectuée dans un cadre familial. Ceci étant, la verbalisation a fait défaut pour compléter cette pratique de l’espace : une étape à toutefois tenter, après coup, avec les actuels MS et GS pour confronter les discours des élèves sur leur espace proche.
2. Les programmes de cycle 3 : une actuelle inadéquation au monde ? (Dominique Chevalier, MCF-HDR à l’INSPE-Université Lyon 1 et Camile Lefebvre, professeure stagiaire, Master 2 MEEF, INSPE Lyon)
Visant à tester l’adéquation des programmes actuels de cycle 3 au contexte pandémique, la communication pose l’hypothèse d’une potentielle obsolescence des thématiques causée par l’impossibilité de pratiquer réellement l’espace tant individuellement que collectivement. Il est vrai que le programme de 2015, structuré autour de l’habiter, invite par ses thèmes et ses verbes d’action à la sortie et à la référence aux situations personnelles à l’image du premier thème de CM1 « découvrir les lieux où j’habite ».
Le thème 2 du CM1 « se loger, travailler, avoir des loisirs en France » est également mis à mal. S’intéresser au logement en temps de confinement, c’est mettre le doigt sur le mal logement, les violences, la fracture numérique…les conditions de l’habitabilité finalement. La dissociation entre lieu du travail et domicile ayant été devenue caduque, il y a eu là une belle occasion de travailler sur la carte de la « désertion » de certaines régions (montagnes et agglomérations denses) pour se mettre au vert durant ce printemps 2020. Le thème 3 « consommer » a pu s’aborder à travers l’essor du fait maison, du bio, des drive mais également des restaurants du cœur et des banques alimentaires. Pour le CM2 également, « se déplacer » était devenu impossible, « communiquer grâce à Internet » était justement en plein essor et « mieux habiter » raisonnait avec la prospective.
La seconde partie de la présentation était réservée à Camille Lefebvre, étudiante en master MEEF et professeur des écoles stagiaire en CM1, qui exposait les résultats d’un questionnaire adressé à des élèves de divers écoles de la région lyonnaise durant le confinement. De quoi aborder les aspects négatifs (qui dominaient), positifs et interrogatifs du confinement. Un nuage de mots en attestait : « ennui », « manque », « enfermement » faisaient écho à « jeux », « maison », « famille »…Les élèves ont été aussi questionnés sur leurs activités habituelles et si elles avaient pu se poursuivre durant le confinement, sur l’aide apportée par des tiers (parents, frère et sœurs, autres membres de la famille…l’enseignant ne représentant que 2 % du total !). Des pistes pour l’enseignement de la géographie en CM1 ont été ainsi ouvertes avec notamment un jeu visant à trier les activités possibles ou pas et à trouver des alternatives lorsque celles-ci étaient empêchées.
3. Géographie du confinement : faire de la géographie chez soi par une approche sensible. (Florian Pons, doctorant en géographie, laboratoire EVS, Université Lyon 2 et enseignant d’histoire-géographie au collège Jean de Verrazane, Lyon)
Des questions fermées accompagnées de prise de photographies et de réalisations de schémas cartographiques étaient demandées. Parmi les questions, il y a eu « Où aimerais tu être à la place du domicile mais dans l’un de tes lieux de vie quotidienne ? » (une question qui a parfois été mal comprise, certains élèves visant le large à l’image de réponses comme Bora-Bora, Alger, Los Angeles…mais qui rencontraient tout de même des « bonnes réponses » comme la médiathèque, le stade, la patinoire….). Il y a aussi eu une variante sur le fait que ce lieu puisse être n’importe où (et là, les réponses ont fusé : la Corrèze, la lune, le Japon, Tahiti…). Enfin et surtout, il y a eu la prise de photographie d’une fenêtre donnant sur l’extérieur accompagnée d’un enregistrement sonore (autant il y a fracture numérique sur les ordinateurs, fixes ou portables, mais pas sur les téléphones) et d’une photographie d’un lieu où l’on aimerait être. De quoi confronter, de manière dynamique, les représentations des élèves mais également de l’enseignant qui s’était également prêté au jeu.
4. Géographies confinées. Pratiques pédagogiques à distance autour de l’espace proche (Amandine Chapuis, MCF Géographie INSPE Paris Est Créteil)
La première concernait des étudiants de master 1 MEEF premier degré qui ont dû, dans le cadre du thème 1 du programme de CM1 « découvrir le/les lieux(x) où j’habite », imaginer une sortie de terrain à partir d’un lieu et l’itinéraire permettant d’explorer le morceau de quartier correspondant dans la limite du rayon de 1 km autorisé lors de ce confinement du printemps 2020. Travaillant de fait à distance, les étudiants ont pu confronter leurs productions, ce qui offrait, outre les buts didactiques spécifiques à la géographie, la possibilité de les faire réfléchir sur la façon de s’exprimer et de poser des commentaires sur des forums.
La seconde démarche, toute autre, s’inscrivait dans le cadre d’un atelier géographique d’éducation populaire. Pour favoriser les compétences de repérage d’un panel de femmes dans la ville (dans le but de répondre à une certaine peur de quitter le domicile et de circuler), un travail d’analyse de paysages urbains (à partir de photographies prises du logement) a été proposé.
Enfin, la troisième expérimentation concernait des étudiants en licence 3 de géographie à qui il a été demandé de photographier et dessiner (avec légende) leurs espaces matériels de travail puisque le présentiel n’était plus possible. Ces outils géographiques étaient l’occasion de mettre à distance les émotions et les productions ont renvoyé de nombreuses variantes (multifonctionnalité et polytopicité de ces espaces mais également rêves d’ailleurs !). De quoi interroger notamment la secondarisation au travers des postures de partage de ces productions dans ces différentes communautés d’apprentissages.