Les écoles, leurs professeurs et le territoire – Guide pour
une approche monographique
Jean-François Thémines (dir)
Chronique Sociale – 2024 – 155 p – 14 euros
Au cœur des préoccupations
éducatives, le territoire est rarement mobilisé dans la fonction même de
professeur des écoles. Il y a pourtant de nombreux enjeux à aborder la
dimension spatiale de l’Ecole et des écoles ne serait-ce que dans un souci de
justice spatiale. C’est par le prisme de la professionnalisation des futurs
professeurs des écoles, notamment dans le cadre d’une formation à la recherche
et par la recherche que Jean-François Thémines, professeur des universités en
géographie à l’INSPE-Université de Caen, a choisi d’aborder cette question en
rendant hommage à des travaux de mémoire de cinq de ses étudiantes (dont l’une
a même choisi de poursuivre en doctorat).
Le chapitre 1 s’intéresse à la caractérisation
de l’école (les écoles) comme objet géographique. Où est-elle ? Quels
acteurs gravitent en son sein et autour d’elle ? Comment peut-on la
qualifier ? Ce sont 4 axes qui permettent déjà de la cerner : un axe
paysager (qui s’intéresse aux types de construction, au lieu d’implantation, à
la taille de l’édifice, aux équipements, à l’insertion dans le maillage
politique existant), un axe fonctionnel (on y lit ici les apprentissages, la
socialisation des enfants, la formation professionnelle, la familiarisation des
parents ou encore l’action de la commune), un axe environnemental (quelles sont
les ressources éducatives locales ? la territorialité des acteurs de
l’éducation, l’attractivité des postes, le contexte sociodémographique de
l’école souvent mesuré par l’IPS), un axe politique (l’école est un lieu de
projet sur l’espace communal, un espace de mise en œuvre locale des réformes
nationales, un espace d’investissement politique local, un espace de mobilisation).
L’école et le métier de professeur des écoles sont fondamentalement liés au
territoire, notamment via les projets éducatifs de territoire. Dans les
pratiques, les limites (un enseignant = une classe = une salle) sont bien plus
floues (cas du dispositif « plus de maîtres que de classes » générant
le co-enseignement, classes « hors les murs »). Se pose aussi la
question de l’inégalité/iniquité et justice spatiale au travers de la
répartition des ressources éducatives et de leur accessibilité.
Le chapitre 2 présente la
méthodologie de la monographie vue comme un « outil d’accumulation
dynamique et de transformation du matériau empirique » permettant de se
projeter. On y décrit, on y organise et on y thématise ce qu’on voit et ce que
l’on récolte. On passe du rôle de spectateur à celui d’enquêteur dans le
contexte de transformation identitaire à l’œuvre quand l’enseignant débutant commence
à s’immerger dans le métier. De manière plus précise, le contexte était celui
d’un atelier de recherche voulant éprouver cette méthodologie. Le but était de
cadrer statistiquement et géographiquement les écoles où officiaient les
étudiantes et de rédiger entre 15 et 30 pages d’analyse une fois la
problématique dégagée. Quatre moments se succédaient : 1/ Voir quelque
chose (les abords de l’école au travers des mobilités et des limites, la
pratique avec et sans guidage, une visualisation croisant les points de vue),
2/ Identifier un système pour cerner des relations (susciter des entretiens,
récolte des productions non verbales, croiser les sources…), 3/ Problématiser
l’objet (le changement de lieu de stage a permis une plus ou moins grande
continuité de la réflexion et a déterminé une décision de travailler sur tel ou
tel sujet), 4/ La production de catégories intermédiaires propres à soi
(intermédiaires car ne portant que sur une école, car n’étant pas éprouvées par
la communauté des chercheurs).
Les chapitres suivants ont été
rédigés par les étudiantes en master MEEF 1er degré avec comme
terrains d’étude, des écoles du Calvados (trois par étudiante sauf pour le
chapitre 6 où il n’y a eu qu’une seule école, le terrain étant plus complexe).
Traitant de la fabrique locale du
territoire, le chapitre 3 confronte une équipe pédagogique n°1 amère qui pense
que la mairie ne fait pas assez mais qui, dans le même temps, n’est que peu
soudée. Les postes y sont difficiles à obtenir (territoire côtier prisé) et la
moyenne d’âge est assez haute. Le territoire n’est que peu investi comme une
ressource éducative. Dans le second cas, l’école propose un moins bon contexte
initial mais affiche une équipe s’entendant mieux et qui a également de bonnes
relations avec les élus locaux. On lit déjà l’idée que le confort semble
enfermer et que les conditions de travail plus difficiles forcent à
l’inspiration et au partage. La taille de l’école joue également : une
configuration étriquée et minimaliste pousse également aux échanges. La
troisième école permet de consolider la comparaison : une école rurale à
cheval sur deux sites (un pour le cycle 2 et un pour le cycle 3) avec un seul
directeur qui fait efficacement la navette entre les deux.
Le chapitre 4 s’intéresse à la
coéducation au travers l’idée que la collaboration avec des parents partenaires
ne va pas de soi. En REP, il y a déjà des initiatives (café des parents,
semaines de parents, des moments jeux de société) et une stabilité de l’équipe.
Mais même distantes d’un seul kilomètre, deux écoles peuvent afficher des
ambiances très différentes. Une fusion d’école peut faire naître des «
micro-climats ». Se pose la question des allophones et de leur forte mobilité
qui n’aide pas à pérenniser la coéducation.
Le chapitre 5 traite de la
diversité architecturale des écoles rurales qui souhaitent finalement
« casser » le modèle communal historique. Cinq critères sont retenus
(durabilité, accessibilité, lien au numérique, ouverture sur les acteurs et
sécurité). Il y a beaucoup de variations des apprentissages dues aux bâtiments
et à leur agencement. Il y a des stratégies communales pour afficher leur école
comme « vitrine » afin de garder de l’attractivité. La
professionnalité des professeurs des écoles est particulière en zone rurale et
il peut y avoir un effet contre-productif au RPI (dans l’exemple, il est moins
investi par les enseignants sur les ressources locales que les deux autres
écoles).
Le chapitre 6 ne concerne qu’une
école mais riche de dispositifs (CP dédoublé, ULIS, CHAT, DAR…). En ce sens,
elle affiche une spécialisation fonctionnelle des espaces et elle est parcourue
par de multiples intervenants en complément des enseignants réguliers. C’est
une école repère pour les familles avec une équipe stable et soudée.
Le chapitre 7 aborde les
inégalités d’accès aux ressources éducatives. Elles sont affectées par des
effets de lieu (mais qu’il convient d’analyser à des échelles différentes
notamment intra-urbaines car de fortes différences selon les quartiers peuvent
se faire sentir) et des effets de classe qui peuvent justement compenser
positivement des effets de lieu défavorables et des effets de mobilités qui
sont fonction de la desserte en transport.
A l’issue de ces portraits, Jean-François
Thémines dresse une synthèse dans le chapitre 8. Il en ressort que l’équité
territoriale est difficile à atteindre d’où la recherche de seuils
pertinents : la démultiplication des plans d’observation de l’espace
(photographies variées, bien plus que les vues générales des bâtiments),
matérialité des composants de l’espace montrant des limites d’accès,
configurations localisées qui influencent le renforcement ou l’atténuation des
réalités).
L’école peut être le pôle central
de l’espace communal, elle est investie par les élus et les parents comme une
vitrine. Elle peut structurer un espace local en mutation dès lors qu’il y a
bonne connaissance des partenaires et des diagnostics. Ou alors, il y a déficit
de force structurante, on laisse faire le sort et on investit peu le local.
Parfois pire encore, les inégalités se creusent davantage, différentes tensions
ont toujours cours.
La distance peut être vue comme
physique mais également sociale, symbolique et relationnelle.
En définitive, nous avons là un contenu qui apportera sa pierre à l’édifice général de la géographie de l’Ecole. Pris sous l’angle méthodologique, le propos pourra dépasser le seul cadre du Calvados où cette réflexion sur la monographie pourrait s’étendre à d’autres territoires pour multiplier ces portraits d’école. Riche de figures, surtout les schémas synthétiques présents à la fin de chaque chapitre, l’ouvrage montre également une belle écriture de la part d’étudiantes à ce niveau du cursus. Dans une période où on veut encore avancer le concours et le simplifier davantage, il est très agréable de lire des écrits de cette qualité. C’est aussi l’adossement à la recherche, lui aussi menacé et à défendre, qui a permis de telles circulations structurantes entre formateur et étudiantes.
CR d'ouvrage : Xavier Leroux, 15 juin 2024
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