Education et
durabilité : une nécessaire transdisciplinarité et un étayage par une
didactique de la durabilité en vue d’une éducation au politique
Jean-Marc Lange, université
de Montpellier - Séminaire de rentrée – Master 2 – Lille – 18 septembre 2024
CR de Xavier Leroux
Professeur des universités à
Montpellier, Jean-Marc Lange est au départ spécialisé en écophysiologie marine
et relate le caractère très transdisciplinaire de l’océanographie. Il
s’identifie comme un acteur de la didactique des sciences du vivant et non des
SVT qui sont une construction institutionnelle du monde scolaire.
Il faut une responsabilité
sociétale de l’éducation et de la formation. Déjà Emile Durkheim s’était penché
sur la question en s’attachant, outre à cerner les normes sociales, à essayer
de voir comment ces normes pouvaient s’adapter aux différentes générations
successives (d’où la nécessaire éducation).
Jean-Marc Lange dresse ensuite un
rapide historique de l’enseignement puis l’éducation à l’environnement (EE) jusqu’à
l’éducation au développement durable (EDD), en prenant soin de préciser que les
visées sont différentes à chaque étape. Actuellement, nous sommes sur une visée
de citoyenneté politique (manifestations, grèves du climat, avec présence de
personnalités comme Greta Thunberg).
S’ensuit la présentation du terme
« anthropocène » issu des géosciences, du géochimiste Vernadski et du
géochimiste Crutzen. On transforme la planète et 6 des 9 limites viennent d’être
franchies. La question de l’habitabilité de la planète est posée, plus exactement
de notre zone d’habilité qui se restreint.
En même temps, les sciences de
référence évoluent et l’éducation ne peut pas l'ignorer.
L’enjeu de la durabilité est
de prendre en compte la complexité du monde, de co-construire entre sciences et
société, de transformer les modes de vie. Méthodologiquement, on cherche
l’inter et la transdisciplinarité, des approches globales et intégrées. On
hybride sciences de la nature et sciences sociales.
Il y a urgence pour gérer cette
bifurcation. Jusqu’aux environs de 2050, on peut encore choisir le chemin qu’il
faudrait suivre mais plus on approche de cet horizon, plus les choix se
traceront d’eux-mêmes sans action forte.
L’EDD est cruciale. Elle fait
partie d’autres « éducations à » qu’on peut nommer « éducations
transversales ». Elles sont multiples et les chercheurs doivent dire si les
objets de ces éducations sont passagers ou au contraire solidement ancrés.
« Education à »
s’oppose à « enseignement de »…mais attention à ne pas être tenté de
ne pas rejeter les savoirs et contenus disciplinaires…C’est le « rapport
au monde » qui se joue ici et non le seul « rapport au savoir »,
sachant que le rapport au savoir est aussi un rapport au monde, aux autres et à
soi (Bernard Charlot).
Les clarifications curriculaires sont
nécessaires : il y a trois registres d’après Jean-Louis Martinand : le
registre des missions et des finalités (pourquoi), le registre des stratégies
des choix programmatiques, le registre didactique et pédagogique. D’où
découlent les balises curriculaires qui reprennent ces axes (Lange et Victor,
2006).
Les finalités sont l’amélioration,
l’atténuation, l’adaptation, la transformation…mais attention aux manipulations
y compris dans les cours de lycée.
Cela débouche sur une logique de l’action
(ce qui rejoint le « learning by doing » de John Dewey), mais c’est insuffisant.
Il faut également comprendre les enjeux et s’appuyer sur des contributions
disciplinaires (Lange, 2011). Il y a une relative facilité à le faire au
primaire du fait de la polyvalence mais au secondaire, on se heurte au
cloisonnement des disciplines.
Les « éducations à » constituent
une rupture pédagogique : la centration se fait sur les pratiques sociales
et non sur les savoirs (qui, gardons raison, restent nécessaires !), un pilotage
par des actions participatives, une rupture épistémologique (passer d’un modèle
« cumulatif » à une façon de penser les changements et de mener une
action politique), une hybridation des savoirs et des démarches intégratives.
Nous ne sommes pas sur des savoirs stabilisés, ils sont distribués, mouvants,
probabilistes, sous influence (Cardot, 2011), il y a difficulté à dire le vrai
du faux.
Il convient aussi de prendre en
compte les savoirs locaux, les savoirs traditionnels qui sont riches et il est
intéressant de les croiser avec des savoirs académiques. L’exemple de la neige
chez les Inuits (qui voient de multiples nuances de blanc) ou de la forêt en
Amazonie (qui voient de multiples nuances de vert) montre que les populations
locales ont des connaissances plus fines. On a fui ces savoirs vernaculaires par
le passé, on les recherche maintenant.
Cela nécessite de tenir compte également
de la complexité et de mobiliser des savoirs dans plusieurs disciplines : cela
peut passer par des ilots multiréférentiels, des ilots de rationalité ou de
légitimité. Les disciplines sont complémentaires. Il faut pour cela favoriser
les pratiques contributives et des savoirs contributifs (Joël Lebeaume).
Jean-Marc Lange illustre son
propos par un exemple de démarche en Sciences de l’Education et de la
Formation autour de l’engagement. Dans l’état de l’art, on retrouve
généralement le mythe du désengagement des jeunes (ils ne sont pas véritablement
désengagés), le sentiment d’efficacité personnel, la confiance dans les
institutions pour agir, les inhibitions fondamentales qui aboutissent à l’éco-anxiété
(si l’éco-inquiétude est normale, l’éco-anxiété est inhibitrice). Derrière
cela, il y a en réalité plusieurs théories de l’engagement. On peut ainsi rechercher
l’établissement d’un indice d’engagement et dégager des figures de l’engagement
des jeunes (spectateur réflexif, acteur, paradoxal, auteur, doute…). Jean-Marc
Lange montre alors tout l’intérêt des analyses socio-discursives de discours.
Sa conclusion invite à mixer « l’agir »
(favoriser les actions participatives), le « comprendre » (conduire
des enquêtes d’investigation sur les enjeux) et le « connaître »
(faire appel aux disciplines).
Une très belle conférence,
limpide et roborative pour cette rentrée 2024-2025 !
A signaler la parution du "Dictionnaire critique des enjeux et concepts des
éducations à" (nouvelle édition), co-dirigé par Angela Barthes, Jean-Marc Lange et Céline Chauvigné : https://didageo.blogspot.com/2024/03/nouvelle-edition-du-dictionnaire.html
Références :
Jean-Marc Lange, Patricia Victor. Didactique
curriculaire et « éducation à… la santé, l'environnement et au développement
durable » : quelles questions, quels repères ?. Didaskalia (Paris),
2006, ⟨10.4267/2042/23954⟩. ⟨hal-01699624⟩
Jean-Pierre Cardot. Formateurs
d'enseignants et éducation à la santé : analyse des représentations et identité
professionnelle. Education. Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II,
2011. Français. ⟨NNT : 2011CLF20010⟩. ⟨tel-00751865⟩