Compte-rendu de thèse : Minerve KWEKEU, 2024, Dispositif didactique intégrant les images fixes/animées dans l’enseignement du changement climatique en géographie et construction des compétences par les apprenants : les classes de 6ème de l’enseignement secondaire général au Cameroun, Thèse de Doctorat en sciences de l’Éducation, filière Didactique des disciplines, Université de Yaoundé I (dir. : Renée Solange Kneck Bidias et Pascal Clerc).
Soutenue le 24 juin, la thèse de Madame Minerve KWEKEU consiste en l’étude de l’appropriation des notions et enjeux du changement climatique et de ses conséquences, par des élèves scolarisés en classe de 6e au Cameroun. Cette étude est menée à l’échelle de quatre lycées et intègre une démarche d’ingénierie didactique.
La thèse défendue est celle de la plus-value qu’apporte un enseignement mené avec des images fixes ou mobiles pour l’apprentissage du changement climatique en géographie. Cette plus-value concerne des compétences de classement et mise en ordre, de production d’hypothèses et de déduction ainsi que de passage du savoir à l’action. Le travail s’appuie sur six corpus : les textes de programmes, les manuels scolaires de la classe de 6e, des entretiens passés avec des inspecteurs, des observations de cours sur le changement climatique, des auto-confrontations simples de professeurs ayant des pratiques classiques et de professeurs s’étant inscrits dans le dispositif mis au point par la chercheure, des questionnaires pré-test et post-test passés auprès d’élèves choisis dans quatre lycées différents.
La recherche est motivée par le sentiment que l’éducation à la lutte contre les effets du changement climatique est une priorité insuffisamment traduite dans les faits, alors que le Cameroun est très exposé à ces effets. La thèse s’inscrit dans une démarche de recherche en vue de l’action : le laboratoire, ce sont les classes de géographie de 6e où sont observés en parallèle des cours classiques et des cours qui bénéficient d’un dispositif conçu par la chercheure.
La première partie, intitulée Problématisation de la recherche, pose le cadre de la recherche et son contexte. Le premier chapitre fait un état des lieux des connaissances sur le changement climatique en s’appuyant sur les travaux du GIEC. L’auteure y souligne que l’UNESCO s’est saisie de la lutte contre les effets du changement climatique à partir des questions d’éducation au développement durable. Changeant d’échelle, elle présente la position difficile de l’Afrique, ensemble de territoires et d’économies fortement exposés aux changements climatiques tout en étant de petits producteurs de gaz à effet de serre. Le Cameroun est présenté dans la diversité de ses espaces et de ses milieux. Les effets spécifiques du changement climatique sont précisés par régions, avec leurs conséquences sur les productions agricoles, halieutiques et donc sur l’économie du pays et les moyens de subsistance de sa population.
Le deuxième chapitre se centre sur la géographie scolaire au Cameroun en la replaçant dans une approche plus générale de la diffusion des savoirs sur le changement climatique. Le contexte camerounais est vu sous l’angle de la diffusion du développement durable, avec une sensibilité accrue d’un certain nombre d’acteurs (exemple de l’Association Africaine pour des Villes Vertes). Pour entrer dans le domaine didactique, l’auteure privilégie une approche par les ressources dont disposent les enseignants. La question centrale de la recherche est posée : quel modèle de dispositif didactique d’usage des images fixes/animées est pertinent dans l’enseignement du changement climatique en vue de favoriser la construction des compétences par les apprenants des classes de 6ème ?
Le troisième chapitre propose une présentation des programmes actuels de géographie (2014) et une brève histoire de leur évolution (approche par les contenus, PPO, APC).
La deuxième partie est consacré d’abord aux cadres théoriques de l’intervention éducative (Lenoir) et de l’approche instrumentale de l’activité humaine (Rabardel) et pragmatique de la géographie expérientielle (Leininger-Frézal). Les chapitres suivants présentent le dispositif méthodologique. Il s’agit d’une recherche combinant méthode quantitative et méthode qualitative. Le volet quantitatif comprend des questionnaires élèves (1015) et enseignants (57, puis 7 professeurs enseignant le changement climatique) qui ont pour but de cerner le niveau de connaissances du changement climatique des élèves et les pratiques d’enseignement. Pour le volet d’ingénierie, deux classes de 6e ont été choisies dans chacun des quatre lycées retenus tandis qu’un groupe témoin était soumis à une leçon ordinaire. L’ingénierie didactique avec le groupe test consistait en 1° : une observation et prise de vue dans l’environnement proche du lycée de dégradations de l’environnement ainsi que d’autres éléments en lien avec le changement climatique (sécheresse, feux de brousse, etc.) ; 2° des échanges entre pairs confrontant leurs observations avec des images projetées à partir d’un vidéo projecteur ; 3° la réalisation d’une carte mentale décrivant les causes et conséquences du changement climatique ; 4° la réalisation d’une activité d’intégration autour des solutions nécessaires à la lutte contre le changement climatique.
La troisième partie propose les résultats de la recherche. Les enseignants connaissent le phénomène du changement climatique et ont des avis contrastés sur leurs manuels, considérant pour 40% d’entre eux que les documents ne favorisent pas la construction des compétences. La chercheure montre que l’enseignement ordinaire est caractérisé par une faible diffusion de pratiques interactives en dépit du cadrage officiel par l’APC : il y a peu d’activités de haute tension intellectuelle, peu de sorties, peu de mise en action des élèves. Cela constitue un diagnostic utile pour la mise en place d’une formation continuée jugée insuffisante pour l’heure par les enseignants. Concernant les apprentissages, on constate un écart entre le niveau correct de connaissances déclaratives - les élèves ont presque tous déjà entendu parler du changement climatique et deux-tiers environ en donnent une définition correcte - et les difficultés de compréhension de l’objet changement climatique. Comme dans bien d’autres systèmes éducatifs, la formation au raisonnement géographique demeure un enjeu crucial. Enfin, l’ingénierie proposée montre son efficacité dans les limites de l’analyse conduite : elle favorise des activités intellectuelles plus exigeantes de la part des élèves.
Ambitieuse par son ampleur, inscrite dans une perspective d’apport de la preuve au moyen d’une démarche expérimentale, la thèse de Madame Minerve KWEKEU apporte un éclairage qui doit être médité dans une perspective de comparaison avec d’autres géographies scolaires. Bien des constats qu’elle dresse peuvent sans doute être partagés avec d’autres pays : une formation continuée en manque d’efficacité, des manuels scolaires indispensables mais jugés peu adaptés par les enseignants, des élèves qu’il est difficile de conduire vers la compréhension de la complexité du changement climatique et de ses effets au-delà de la restitution de connaissances. Concevoir une progression dans les apprentissages du raisonnement et de la complexité et développer des perspectives d’analyse critique des images en lien avec le changement climatique (risque d’usage d’images emblématiques pouvant masquer des phénomènes plus préoccupants, repérage et décodage d’images produites par des lobbies climato-sceptiques) sont des objectifs didactiques à poursuivre au Cameroun comme ailleurs.
CR de Jean-François Thémines
Jury composé de :
Moïse Moupou, professeur, Université de Yaoundé, rapporteur ;
Jean-François Thémines, professeur, Université de Caen Normandie, rapporteur ;
Christine Vergnolle-Mainar, professeur émérite, Université de Toulouse Jean Jaurès ;
Michel Tchotsoua, professeur, Université de Ngaoundéré ;
Pascal Clerc, professeur, CY Cergy Université Paris, directeur de thèse ;
Renée Solange Kneck Bidias, professeure, Université de Yaoundé I, directrice de thèse.