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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

vendredi 25 janvier 2013

Introduire la cartographie numérique dans l'épreuve de cartographie au bac : mission vraiment impossible ?


I)
En finir avec l’exercice rituel du croquis


Au moment où s’élève un débat salutaire sur la fabrique des programmes scolaires en géographie, nous sommes étonnés de ne pas y voir figurer d’interrogation sur le sens et la nature de l’épreuve de cartographie au bac (1). Ce n’est pas un fait nouveau de constater que les pratiques scolaires sont largement orientées par les formes d’évaluation. Au lycée et en partie au collège, c’est l’épreuve du croquis de synthèse au baccalauréat qui détermine en amont les pratiques cartographiques. Il faut donc apprendre dès le plus jeune âge à faire des croquis à la main, comme on apprenait autrefois (mais ce n'est pas si vieux) à construire une pyramide des âges ou à produire un diagramme ombrothermique. Aussi formative soit-elle, la construction d’un croquis de géographie n’a de sens que par rapport à une sélection critique et raisonnée de l’information à cartographier. Ce que ne permet pas vraiment l’épreuve actuelle où le candidat ne peut s’appuyer que sur un fond de carte vierge. Malgré les efforts pour tirer l'épreuve vers le choix des symboles et l'organisation de la légende, la réussite de l'épreuve du croquis repose en grande partie sur la maîtrise du geste plus que sur la réflexion. Mais comme le disait Roger Brunet, point besoin d'être un bon dessinateur pour faire un bon croquis !

Nous ne reviendrons pas sur les nombreuses critiques qui entourent l’épreuve de croquis « de synthèse » pour laquelle on a un peu de mal à voir où se situerait l'esprit de synthèse. Tout au plus cette épreuve est-elle réduite à un exercice mnémotechnique : une liste de 15 à 20 croquis à apprendre par coeur pour le jour du bac (2). Rappelons toutefois que cette épreuve aurait pu prendre une toute autre allure si on avait décidé
d’y adjoindre, comme cela avait été envisagé lors de l’expérimentation de cette épreuve à la fin des années 1990, un dossier d’informations pour en faire une véritable épreuve de synthèse par la carte : en fournissant un corpus varié de documents de différente nature (textes, statistiques, cartes thématiques, anamorphoses…),  le candidat aurait été à même d’élaborer un véritable croquis personnel à partir d’une lecture critique de l’information. Comme nous le soulignions dans un chapitre d’ouvrage paru en 2010, la cristallisation autour du croquis de synthèse finit par laisser peu de place à la lecture et à l’analyse critique de l’information géographique, qui pourtant fait partie aujourd’hui des compétences-clés de la géographie enseignée (3). 


II) Développer la cartographie numérique dans la géographie enseignée, une idée qui fait son chemin…

Quinze ans après l’introduction du croquis au bac, la principale préoccupation des enseignants d’histoire-géographie n’est plus là : pour bon nombre d’entre eux, l’épreuve du croquis ne fait plus sens aujourd’hui, elle contribue même à ringardiser la géographie scolaire. L’exercice réalisé avec papier-crayon ne prend pas en compte un changement fondamental : le développement massif des technologies numériques dans les pratiques sociales. Jamais plus dans sa vie privée, citoyenne ou professionnelle, un élève n’aura l’occasion de faire un croquis de géographie à la main. Par contre il est fort à parier qu’il utilisera un GPS pour conduire son véhicule, un globe virtuel pour préparer ses prochaines vacances sur Internet, voire un outil de localisation sur son téléphone portable pour chercher de l’information selon sa mobilité. D’aucuns rétorqueront que la géographie ne se réduit pas à l’acquisition de repères spatiaux ni à l’usage de cartes dans la vie de tous les jours. Mais cela en fait partie aussi. La géographie enseignée ne peut pas s’alimenter seulement aux savoirs savants, elle doit s’ancrer aussi à un vécu, à des pratiques spatiales quotidiennes. Sans compter que ces outils de géolocalisation permettent de s’initier ensuite à des outils plus complexes permettant de développer le raisonnement géographique et l'analyse spatiale : nous voulons parler ici des Systèmes d’Information Géographique permettant de faire des requêtes spatiales et attributaires avec des démarches hypothético-déductives... et pas seulement des démarches inductives liées à la visualisation d'images numériques en 2 ou 3 dimensions dans des outils de webmapping (du type Google Maps, Géoportail,…), auxquels les concepteurs des programmes de géographie ont voulu renvoyer en parlant de « SIG simples d’utilisation » (lapsus révélateur qui en dit long sur la confusion qui règne au sein des différents outils de cartographie numérique).

Introduire les technologies numériques dans l’épreuve de cartographie au bac, l’idée semblait encore un peu saugrenue, voire impossible, il y a quelques années. Pourtant elle semble faire son chemin aujourd’hui. Deux exemples récents vont dans ce sens. Dans une émission consacrée au « Dessous des cartes numériques » (4), Jean-Christophe Plantin souligne assez justement que les cartes numériques ont comme principal atout, par rapport aux cartes papier-crayon, de « faire passer d’une objectivité contenue dans la carte à une objectivité contenue dans les données. » Et l’auteur de l’émission Sylvain Kahn de poser cette question (faussement) naïve :
« Vous pensez qu’il faudrait donner à des élèves de lycée et de collège la possibilité de traiter des données davantage qu’à apprendre à faire des croquis ? Je pense notamment à l’épreuve du baccalauréat en géographie, c’est toujours un croquis de synthèse comme on dit. Est-ce que vous vous seriez plutôt pour dire à l’Inspection générale qu’il faudrait changer tout cela ? Il y a un certain nombre de professeurs du secondaire qui aimeraient bien faire en sorte qu’il y ait un véritable encouragement à délivrer à eux-mêmes pour qu’ils puissent ensuite délivrer à leurs élèves cette cartographie numérique plutôt que d’en rester à une carte qu’on va appeler traditionnelle. »

Thierry Joliveau, qui tient un blog géonumérique sur la Toile et qui s’intéresse à l’impact des outils géomatiques auprès de différents publics, apporte alors cette réponse à propos des expérimentations SIG que nous avons pu mener dans les années 1990-2000 :
« Il y a une partie des élèves du secondaire qui se sont beaucoup intéressés aux SIG malgré les difficultés et la complexité des outils, et c’était pour cette raison-là, c’était pour montrer comment  la carte était construite avec des données, avec un certain nombre de sélections, de choix sémiologiques, etc. et je pense que c’est beaucoup plus facile avec les nouvelles interfaces. » 

Réponse isolée d’un spécialiste de la géomatique ? Pas si sûr. Thomas Goussu, enseignant d’histoire-géographie, émet le même souhait dans un article paru dans le journal Libération : « On peut aussi espérer que nos programmes entreront dans le XXIe siècle et se soucieront d’intégrer les technologies numériques dans les pratiques des élèves. Alors que tous les acteurs économiques se soucient de « compétitivité », combien de temps faudra-t-il encore apprendre aux élèves à crayonner des fonds de carte, quand des outils numériques simples d’accès permettent aujourd’hui un travail de cartographie plus pertinent et efficace ? » Passons sur l’argument concernant la compétitivité qui laisserait penser que la cartographie numérique serait uniquement une question d’approche professionnelle (la géomatique fournit tout de même des débouchés pour les géographes), voire d'idéologie libérale (on peut aussi utiliser des logiciels libres). Une chose est certaine, et Thomas Goussu le souligne avec justesse : si l’on veut enseigner des savoirs et des savoirs-faire qui font sens pour les élèves, il faut leur donner une légitimité dans les pratiques sociales de référence. 

   
III) Oui mais comment faire ?

Dans un billet du Café pédagogique (5), Gilles Fumey prend sa plume à son tour et répond, non sans malice, à Thomas Goussu qu’il ne suffit pas de faire « un appel au peuple dans la presse nationale » pour changer une épreuve de cartographie ! Les obstacles à l’intégration de la cartographie numérique  dans le contrôle final seraient donc plus importants qu’on l’imagine :
« Pourtant, cher Thomas Goussu, n'allez-vous pas vite en besogne lorsque vous demandez que les élèves sachent utiliser les logiciels de cartographie - parce que « crayonner des fonds de carte - serait moins « pertinent » et moins « efficace » ? D'abord, est-ce si sûr ? Allez voir à la Bibliothèque nationale comment les cartographes ont dessiné le monde marin à la Renaissance. Formez-vous des géomaticiens ou des élèves à des connaissances « générales » ? Etes-vous sûrs que les professeurs d'histoire sont formés à la cartographie numérique et aux SIG et la manient aussi bien que vous ?
Vous touchez là un continent que le ministre, tout à sa fureur modernisatrice, est en train d'équiper de bon matériel flambant neuf. Cette politique a l'avantage de donner des indicateurs faciles à manier comme le nombre et le coût des machines, leur diffusion ubiquiste (faux, car les collectivités territoriales ne dotent pas au même niveau), leur illusion techniciste. Mais a-t-on jamais lu un rapport détaillé sur les pratiques des élèves et des enseignants en cartographie dans un lycée « numérique » ?
 »

Reprenons les arguments avancés car le débat argumenté nous semble plus essentiel que les joutes oratoires !

Argument 1 : l’école n’est pas censée former des cartographes, encore moins des géomaticiens. C’est un point de vue avec lequel on ne peut qu'être d'accord, l’enseignement secondaire doit rester un enseignement général. On ne forme pas des spécialistes. Ce qui compte c'est "faire de la géographie" et pas seulement apprendre à "faire des cartes". C'est vrai, mais c'est assez réducteur. C'est oublier que la carte reste un marqueur essentiel de la géographie scolaire comme l'a montré Christian Grataloup. Le point de controverse derrière cela, n’est-ce pas le débat (un peu suranné) concernant les rapports ambivalents de la cartographie  et de la géographie ? Débat qui s’est encore complexifié avec l’essor de la géomatique, d’abord  réservée au monde professionnel mais aujourd’hui très largement diffusée dans le grand public. Le fait est aujourd’hui que l’école ne peut pas rester à l’écart de ces outils géonumériques au sens large (qu'il ne faudrait pas réduire aux SIG). C’est d’ailleurs dans ce sens que les programmes de géographie ont commencé largement à intégrer ces outils dans les programmes dès la classe de 6e. Alors pourquoi ne pas aller jusqu'au bout en mettant en cohérence les modes d'évaluation avec les contenus et les démarches mobilisés dans l'enseignement d'une géographie renouvelée et résolument ouverte aux nouveaux outils ?

Argument 2 : les enseignants d’histoire-géo ne sont pas formés à la cartographie numérique. C’est possible. Mais ils n’étaient guère formés à faire des croquis en 1999 au moment de la réforme et des nouveaux programmes du lycée. L’inspecteur général Gérard Dorel avait justement poussé à créer cette épreuve pour que les enseignants (et partant les élèves) puissent au moins améliorer leur maîtrise des cartes. Serait-on devenu si timoré qu’on n’ose plus changer une épreuve au bac pour faire évoluer les pratiques pédagogiques ? Pas si sûr non plus qu’un pourcentage important d’enseignants n’utilisent pas déjà ces outils de cartographie numérique dans leur cours de géographie. Cela vaudrait en tout cas la peine d’enquêter sur les pratiques réelles des enseignants en classe car on manque de recherches dans ce domaine. 

Argument 3 : Oui mais qui va former ? Où et comment ? Au moment où vont se mettre en place les nouvelles "Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education" (ESPE), gageons que la 2e année consacrée à la professionnalisation permettra de vraiment former à la maîtrise des compétences numériques et que l’on puisse revaloriser parallèlement la formation continue des enseignants complètement délaissée ces dernières années. Un vœu pieux ? Peut-être, mais soyons un peu ambitieux si l’on veut bâtir « l’Ecole du XXIe siècle », comme semble le vouloir le ministre de l’Education nationale. En outre ce besoin de formation aux nouveaux outils de la géographie conduirait les universités à intégrer davantage la géomatique dans la formation de base des étudiants en géographie (certains départements universitaires le font déjà, y compris en histoire). L'argument selon lequel les enseignants d'histoire ne pourraient s'adapter ne tient que partiellement : n'est-ce pas ce qu'on leur a déjà demandé de faire en formant leurs élèves à l'épreuve du croquis de géographie au bac ? Nombre d'enseignants ayant une formation initiale d'historien ont appris à aimer et à enseigner (plutôt bien) la géographie en la pratiquant avec leurs élèves.

Argument 4 : le matériel informatique est insuffisant dans les établissements particulièrement dans les lycées qui sont moins bien équipés que les collèges de manière générale. Mais c'est la fonction qui crée l'organe et non l'inverse : quand on a créé l’épreuve d’Expérimentation Assistée par Ordinateur (épreuve d’ExAO) en Sciences de la Vie et de la Terre, cela a été l’occasion de créer des salles informatiques spécialisées. Une liste de logiciels a été définie officiellement. On a réfléchi également à la façon d’évaluer les élèves sur des supports papier. Une liste de TP en ExAO a été fournie spécialement pour les examinateurs de manière à simuler (de manière assez convaincante) ce que les élèves étaient censés réaliser sur support informatique (après tout c'est souvent ce que l'on fait dans l'évaluation du C2i2e). Le fond du problème est bien de savoir si l’on est prêt à évaluer des savoir-faire en contexte et non des savoirs factuels passablement fossilisés. On répliquera que les SVT sont une science expérimentale et que la géographie ne revêt pas cette dimension. Pas si sûr. L’acquisition de savoirs-faire cartographiques repose aussi sur la manipulation d’outils de sélection et de traitement de l'information, qu’ils soient numériques ou non. Oui mais les SVT sont une discipline beaucoup plus anciennement et profondément instrumentée que la géographie. Est-ce là un fait immuable ?

Argument 5 : Au moment où les cartes se diffusent dans le grand public et où chacun peut fabriquer « sa carte à la carte » sur Internet ou avec des logiciels de cartographie grand public, la géographie scolaire ne doit-elle pas enseigner une approche critique de la cartographie ? (7) C’est dans ce sens que le nouveau programme de Terminale S intègre désormais une approche politique et citoyenne des cartes où l’on encourage explicitement « l’usage des TICE » (outils d'imagerie satellitaire, SIG). Doit-on considérer par conséquent que les compétences numériques ne concerneraient que des matières optionnelles et ne pourraient donner lieu à évaluation dans les filières générales ? Il serait bon que l'on arrête de "jeter le bébé avec l'eau du bain" en condamnant systématiquement les nouveaux programmes de géographie : pourquoi ne pas garder ce thème d'étude consacré spécifiquement au rôle de la représentation par la carte (numérique ou non) pour le généraliser à tous les élèves de Terminale et en faire une épreuve au bac ? Car finalement ce qui semble en jeu, c'est bien la question centrale des outils de représentation du réel en géographie : une sorte de "savoir penser le monde" qui va bien au delà de la simple technique cartographique, la carte comme outil de cognition spatiale et d'investigation d'un réel qui reste à comprendre et à organiser mentalement.
 

Le débat est donc ouvert, mais un point est certain : l’épreuve de croquis au bac est passablement dépassée aujourd’hui. Que l'on soit clair : notre propos n'est pas de faire la promotion du "tout numérique". Pour l'instant on en est plutôt au degré zéro du numérique dans les épreuves d'histoire-géographie au bac. Ce qui est bien dommage eu égard à la richesse et la diversité des outils de cartographie (je ne parle pas des seuls SIG) : des simples logiciels de cartographie thématique aux SIG en passant par les globes virtuels, les outils de géolocalisation... Or rien de tout cela dans les épreuves de contrôle final : pourquoi donc les enseignants s'encombreraient avec de tels outils jugés compliqués ? Ce ne sont pas les injonctions continuelles dans les programmes à "utiliser les TICE" qui suffiront à encourager les enseignants à préparer les élèves au monde géonumérique dans lequel ils vivent désormais.

Notre but n'est pas non plus de vouloir faire la promotion des SIG et de la géomatique en classe ! D'ailleurs il n'y en a pas besoin, puisque les "SIG" sont déjà partout (en fait nulle part), même dans les activités proposées par les manuels (nous reviendrons sur ce point dans un autre billet) : en réalité pour ne pas faire peur, on se cantonne à de la géovisualisation dans des globes virtuels (sorte d'erzatz de SIG puisqu'ils possèdent déjà le multicouche et le géoréférencement sans donner accès aux données), quand on ne confond pas les SIG avec des sites statistiques en ligne assortis de cartes thématiques (type Géoclip).  Nous n'avons rien contre, bien au contraire : ce serait déjà bien si on apprenait à croiser les couches d'information et à manier les emboitements d'échelle dans les premiers, à varier les modes de discrétisation et la symbologie dans les seconds. Mais encore faudrait-il définir un référentiel explicite de compétences cartographiques et d'outils pour  acquérir progressivement ces compétences, ce qui n'existe pas pour l'instant. On instrumente tous azimuts des pratiques cartographiques sans avoir d'idée claire sur leurs finalités et surtout leur cohérence avec l'épreuve de cartographie au bac.

Il règne à l'heure actuelle une confusion totale sur les familles d'outils cartographiques et les familles d'usage. On confond tout et finalement les pratiques dominantes se résument à faire du commentaire de cartes. On a basculé dans le paradigme de l'image cartographique et on a perdu au passage le principal qui est le traitement de l'information, le sens critique sur l'origine, le choix et le mode de représentation des données (le passage de l'information à la donnée devant être lui-même interrogé, car la construction de la donnée n'a rien de transparent). Ce n'est pas seulement affaire de sémiologie graphique comme le laisserait penser l'épreuve de croquis en grande partie tournée vers la maîtrise du langage cartographique (8). C'est plus globalement et fondamentalement la question de la construction des savoirs géographiques par la carte, du passage de la représentation graphique aux représentations cognitives.

Vouloir un aggiornamento de la discipline, cela passe aussi par une réflexion sur la place des technologies numériques dans la géographie enseignée. Ce n'est pas là vulgaire question de technologies réservée aux technolâtres. N'oublions pas que les techniques cartographiques enseignées à l'école ont déjà une longue historie derrière elle. Elles ont même façonné en grande partie la façon de faire de la géographie à l'école : on apprenait jadis à dessiner le contour des pays en imitant le tracé du maître sur le tableau noir. Au moment où se sont diffusés les moyens de reproduction en série (stencils, photocopies) et les techniques de projection (rétro- et plus tard vidéo-projecteur, voire TNI), le fond de carte à remplir est devenu l'exercice canonique, rendant complètement caduc le dessin des contours. A son tour, le remplissage de la carte (les côtes que l'on colorie en bleu depuis l'école primaire !), a fini par ôter tout intérêt à l'exercice. Le croquis d'interprétation, plutôt spécifiquement réservé au croquis de paysage ou au croquis de morphologie urbaine, était lui-même mis au service de l'apprentissage des symboles cartographiques en vue de préparer au croquis de synthèse. A force de sacraliser le croquis de synthèse, on a fini par en faire un exercice incontournable : comme tous les rituels, on finit par ne plus les interroger ni comprendre leur sens profond. Mais pour l'essentiel on en est resté au niveau de l'exercice d'imitation (la carte de l'enseignant ou celle du manuel).

Tout l'enjeu est de faire construire des cartes par l'élève lui même. C'est dans ce sens que nous envisageons l'intérêt de l'outil informatique pour mettre l'élève au centre des apprentissages cartographiques dans le but d'appréhender le monde à travers ses modes de représentation. Aujourd'hui ne sommes nous pas arrivés à un nouveau tournant de la cartographie avec l'arrivée des outils géonumériques, où l'essentiel n'est pas seulement d'apprendre des localisations (même si cela reste important), mais d'apprendre à construire/déconstruire des cartes, à enseigner en somme une culture numérique de l'information géographique. Aux enseignants, formateurs, inspecteurs... et aux élèves de dire aussi ce qu'ils en pensent.

Sylvain Genevois, MCF didactique de la géographie et TICE, Université de Cergy-Pontoise


Références

1) Réformer la réforme : propositions pour un nouveau programme au lycée, site Aggiornamento : http://aggiornamento.hypotheses.org/1174

2)  Afin de répondre aux inquiétudes des enseignants, une liste limitée de croquis a été définie. Voir par exemple la liste proposée sur le site de l'académie de Bordeaux : http://disciplines.ac-bordeaux.fr/histoire-geo/?id_category=20&id_rubrique=50&id_page=325 . Mais cette liste n'est pas officielle et ne règle pas la question de l'épreuve anticipée en classe de Première S qui distingue également entre croquis et schémas. Depuis l'écriture de cet article en 2013, une liste officielle des thèmes pouvant donner lieu à un croquis au bac a été publiée. Elle s'est encore réduite puisqu'il ne s'agit plus que de 7 thèmes possibles. En revanche la différence entre croquis réalisé à part et schéma accompagnant la composition a été quelque peu explicitée : http://eduscol.education.fr/histoire-geographie/enseigner/ressources-pour-les-evaluations-et-les-examens/baccalaureats-generaux-et-technologiques/les-productions-graphiques-dans-les-sujets-de-geographie-des-baccalaureats-les.html
 
3) Genevois, S. (2011). La cartographie numérique est-elle soluble dans la géographie scolaire ? In Marie, V., Lucas, N. (dir.), La carte dans tous ses états, collection « Enseigner Autrement », édition Le Manuscrit, p. 153-179. Consultable sur Google Book
 
4) "Le dessous des cartes numériques" (émission du 16 janvier 2013 sur France Culture de Sylvain Kahn avec Thierry Joliveau et Jean-Christophe Plantin pour invités)
http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-le-dessous-des-cartes-numeriques-2013-01-16

5) Le Billet de Gilles Fumey dans le Café pédagogique : Appel au peuple dans la presse nationale

6) …Et pour l’histoire-géo. Article de Thomas Goussu dans le journal Libération du 12 décembre 2012 http://www.liberation.fr/societe/2012/12/16/et-pour-l-histoire-geo_868003

7) L’enseignement de la cartographie dans le secondaire. Christophe Clavel, Revue du Comité Français de Cartographie, n°177-178, 2003http://www.lecfc.fr/new/articles/177-article-1.pdf

3 commentaires:

  1. Il n'y a pas que moi qui le dit. La BD de Fabrice Erre l'exprime avec humour : http://uneanneeaulycee.blog.lemonde.fr/2016/04/01/le-croquis-de-geographie-au-bac/

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