Perrine Michon et Jean-Robert Pitte (dir)
A quoi sert la géographie ?
PUF, 2021, 441 p, 25 euros
Initialement prévu pour célébrer le bicentenaire de la Société de Géographie après la tenue du colloque dédié, cet ouvrage de cinq parties le précède finalement au vu des contraintes sanitaires.
L’introduction revient sur les critiques qui émergent envers l’objet de la géographie trop large, trop imprécis, sans surprise (contrairement à l’histoire) et accessible à tous depuis la démocratisation des voyages et l’omniprésence des images. A l’appui de l’activité de la liste geotamtam, Jean-Robert Pitte écorne les thématiques de la culture « woke » issues des campus américains que reprennent nombre de géographes actuels à qui il reproche également l’entre-soi et le jargonnage.
La première partie pose la question du titre « A quoi sert la géographie ? »
Jean Baechler pose l’idée que n’importe quelle réflexion ne peut omettre des considérations géographiques et qu’il est difficile de donner à la géographie un objet propre. N’est-elle pas d’ailleurs davantage discipline que science pour lui ?
S’ensuite une histoire de la géographie par Paul Claval et un focus sur l’histoire de la société de géographie par Jacques Gonzales qui rappelle que son but est de « concourir aux progrès de la géographie ». On y valorise la découverte de nouveaux territoires au XIXème siècle et, malgré des hauts et des bas, son bilan apparaît riche avec une augmentation de la cartographie du Monde.
Jean-Louis Tissier revient sur l’œuvre de Vidal de la Blache tandis que Alain Miossec pointe lui aussi l’objet trop large de la géographie ainsi que l’hyperspécialisation associée qui lui fait perdre son essence. Il y relit Max Sorre et Jean Brunhes qui avaient déjà des clés de lecture pour apprécier les soucis de la pandémie actuelle de Covid-19.
Sylvie Brunel affiche un véritable plaidoyer envers la géographie et son potentiel de lecture géosystémique d’une France à la traine sur la scène mondiale.
Dans une copieuse seconde partie, l’ouvrage traite de « Ce que peut la géographie pour le monde d’aujourd’hui ».
Antoine Le Blanc et Olivier Milhaud évoquent les prisons et le sport LGBT.
Micheline Hotyat soulève l’intérêt pédagogique de la pratique du terrain « dès l’enseignement secondaire ». Son exemple des effets de la saisonnalité des floraisons en biogéographie est éclairant pour éviter les confusions et légitimer plusieurs passages sur le terrain.
Céline Vacchiani-Marcuzzo évoque la modélisation du peuplement sud-africain tandis que Gilles Palsky et Emmanuèle Cunningham-Sabot passent en revue la place des cartes et de la vidéo dans l’apport imagé de la géographie.
La géopolitique du réchauffement climatique est abordée par Béatrice Giblin avec notamment la question de la part des responsabilités de chacun sur les causes et les conséquences.
Amaël Cattaruzza revient sur les différences de définitions du cyberespace et de l’espace numérique alors que Philippe Boulanger et le colonel Arnaud de Vachon abordent les liens étroits entre stratégie militaire et espace.
Anne Geppert expose les liens forts en géographie (science fondamentale) et urbanisme (qui est opérationnel) mais pas assez à son goût dans le domaine environnemental (ce qui amène des dérives technicistes).
Paul Arnould relit les discours et actes sur l’environnement avec parfois mise en lumière de solutions pires que les maux qu’elles cherchaient à combattre.
Gérard-François Dumont revient sur les variétés de peuplement et la diversité des dynamiques de population.
Enfin, Jean-Robert Pitte expose une approche géographique par les cinq sens pour rééquilibrer les choses à l’appui des 89 % de Français qui privilégient la vue en matière d’approche de la géographie et de l’héritage très paysager de la géographie classique.
La troisième partie « Les champs de la géographie » rassemble quelques témoignages de professionnels de divers horizons.
On y trouve des créateurs d’entreprises ayant renoncé à la carrière académique (Patrick Poncet et Olivier Vilaça), un ingénieur paysagiste (Vincent Piveteau), un responsable de presse racontant l’aventure de la revue « Carto » (Alexis Bautzmann) mais aussi un élu, connu du milieu, Christian Pierret qui relate avec passion le succès du FIG dont il a été à l’initiative.
Cette partie comporte aussi, par Jérôme Fouquet et Gautier Jardon, le résultat d’un sondage IFOP « les Français et la géographie » mené en mars 2021. Concernant la bivalence, les avis semblent équitablement tranchés. L’enseignement de la discipline y est plutôt décrié même si la géographie apparaît utile à la compréhension du monde en suscitant l’envie de voyager. Dommage ici que rien ne soit dit sur le panel de ce sondage et qu’il n’y ait ni tableau, ni graphique pour aider à la lecture des résultats.
La partie se termine sur le témoignage d’un enseignant député, Bruno Studer, qui fait la transition vers la suite du livre en appelant de ses vœux un renforcement de l’enseignement de la discipline.
La quatrième partie directement liée à nos professions s’intéresse donc à « Quelles formations et quels enseignements pour rendre la géographie populaire ? »
Elle compte les confidences de la philosophe Souâd Ayada sur la construction des programmes scolaires et le témoignage passionné de Christian Grataloup sur le couple histoire-géographie.
On trouve aussi un retour de Franck Collard sur des expériences dans le secondaire ainsi que d'Olivier Godard qui revient sur l’apport du concours Carto en 4ème. Sont présents ici également les résultats d’une enquête interne de l’APHG qui montre une légère domination du temps d’enseignement de l’histoire sur la géographie, un constat à nuancer par le fait que les enseignants interrogés demeurent enthousiastes avec les contenus et les programmes actuels de géographie. Leurs outils sont variés, leurs pratiques également…mais il ne s’agit là que d’une partie de la population de ces enseignants.
Florence Smits, inspectrice générale de l'éducation nationale, évoque la différence entre les programmes d’histoire qui présentent un caractère « fini » et ceux de géographie, plus ouverts. Elle est optimiste sur la part des enseignements ciblant la géographie à l’agrégation interne ainsi que sur l’introduction de la géopolitique au lycée.
Christine Vergnolle-Mainar et Brice Gruet pointent du doigt le fait que les finalités civiques de la géographie sont peu perçues par les non spécialistes. Ils prennent appui sur l’ancrage scientifique de la géographie critique tout en mettant en garde de ne pas tomber dans un certain militantisme. Si la priorité est de faire aimer la discipline, comment faut-il s’y prendre ? Via des projets et un minimum d’épistémologie pour montrer aux enseignants peu familiers que la géographie ne change pas si radicalement au gré des évolutions de programmes scolaires.
Jérôme Dunlop montre que la géographie avec ses outils (échelles, différenciation spatiale, écosystème) permet d’investir la complexité du monde actuel où l’engagement citoyen, face à l’inévitable transition, est nécessaire.
L’école primaire est très brièvement évoquée à travers le texte d'Alexandra Baudinault qui revient sur le passage de l’espace vécu à l’espace perçu puis à l’espace conçu et qui a au moins le mérite de dire un mot sur le cycle 1 et le cycle 2.
Perrine Michon et Philippe Thiard investissent la question de la professionnalisation via les SIG, la cartographie et l’aménagement.
Enfin, le témoignage du journaliste Jamy Gourmaud de l’émission « C’est pas sorcier » qui s’affiche comme un passeur, un acteur devant attentivement travailler les étapes de conceptualisation et de vérification pour maîtriser son sujet tout en ne négligeant pas la mise en scène orale pour réenchanter le spectacle du Monde.
La dernière partie « Entretiens avec des écrivains géographes » donne d’abord la parole à Michel Bussi, Jean-Baptiste Maudet et Emmanuel Ruben.
On y cite Julien Gracq et Georges Perec et on sent là que les frontières entre le scientifique et le littéraire sont poreuses. Est formulée la critique envers le style d’écriture académique, moins poétique qu’avant/qu’en littérature, car dépendante de la course à la publication (notamment en anglais). Est évoquée aussi l’idée de glisser des concepts de géographie dans les écrits littéraires pour tenter de séduire le grand public.
On trouve également le témoignage d'Erik Orsenna sur l’importance des interactions et celui de Jean-Louis Tissier et Antoine de Baecque sur le rôle de la marche dans la pratique du terrain.
L’ouvrage se clôture sur le manifeste de la Société de Géographie pour tenter de redonner du goût à la discipline/science et sur quelques propositions. On relèvera parmi elles l’idée de vouloir former les historiens du second degré en géographie pour casser le déséquilibre de cette bivalence artificielle mais rien n’est hélas dit sur le premier degré qui reste pourtant le point de départ…
Quelques coquilles à signaler :
- p 12 : « Camille Schmoll » est prénommée « Catherine »,
- p 124 : « d’avantage » au lieu de « davantage »,
- p 338 : « Bernadette Merenne-Schoumaker » est prénommée « Brigitte ».
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