Compte-rendu de la
thèse de géographie de Elsa Filâtre : Développer la conscience
géographique des élèves en enseignant à partir de l’espace proche, soutenue le
30 septembre 2021, université Toulouse 2
Rejoignant les quelques thèses
consacrées spécifiquement à la géographie et à la professionnalité des enseignants
dans le premier degré (Philippot, 2008 ; Pache, 2012 ; Briand,
2014 ; Charpentier, 2014 ; Glaudel, 2016), cette contribution de Elsa
Filâtre se situe dans le contexte des programmes actuels de 2015 ayant à la
fois suscité de l’espoir (la question de l’habiter est apparue prometteuse car
suivant le renouvellement épistémologique de la discipline enseignée) mais également
des doutes (car les professeurs des écoles restent des non spécialistes qui ont
été bouleversés par cette nouvelle approche et cette façon de découper et
d’agencer les savoirs).
Le projet était de proposer une
ingénierie didactique susceptible d’être transférable en tous milieux, voire
sur d’autres curricula. Par le biais d’une posture de formatrice-chercheuse et
à l’aide de la lecture du prescrit, des pratiques enseignantes et du vécu des
élèves, Elsa Filâtre s’est interrogée sur la tension entre la sécurité chez les
enseignants à proposer des situations « rentables » en termes
d’investissement quoi qu’obsolètes pour être en accord avec leurs valeurs tout
en prenant appui sur la polyvalence du métier de professeur des écoles pour
mobiliser une démarche inductive déjà présentes ailleurs (en science). Le but
est bien de montrer tout le potentiel de la géographie, une discipline pouvant
aider à améliorer leur professionnalité, une discipline qui ne constitue pas un
simple stock de savoirs passifs.
1/ Dans une première partie
théorique, l’auteure revient sur l’histoire de l’enseignement de la
géographie et son individualisation par rapport à l’histoire.
On y voit définis les curricula
prescrit/formel, réel, caché/invisible. Les écarts entre chacun permettent de
lire l’évolution longue de la discipline et les pratiques qui lui sont
associées, le rapport à la science de référence.
Sont convoqués également les cadres
des disciplines scolaires, de la transposition didactique, des pratiques
sociales de référence mais aussi le cadre des quatre pôles de Jean-Pierre Chevalier
(1997) pour montrer les circulations dans ce système. Mémorisation, éveil et
finalement un fort renouvellement des textes jusqu’à l’actuel et complexe
« habiter » de nos sociétés mobiles et polytopiques associant acteurs
et prospective.
Le lecteur peut, à ce stade,
relever cette belle citation (p 43) qui le motive à poursuivre la lecture au
même titre que l’auteure a été motivée à avancer dans sa recherche :
« dépasser le déjà-là, avec des élèves de primaire qui, pour la plupart,
commence à peine à prendre conscience qu’ils pratiquent un espace en s’appuyant
sur un concept dont la polysémie peut-être un véritable frein, est un défi
enthousiasmant mais un défi quand même ».
On bute naturellement sur le flou sémantique quant à la définition de l’«
espace » proche : Est-il espace ? Lieu ? Territoire ? Notamment
lorsqu’il y a proximité avec d’autres disciplines (Milieu ? Environnement ?).
Il convient de faire attention au fait que la « proximité » peut ne
pas être spatiale mais affective…
L’injonction
à travailler avec/par le local n’a pas été continue dans l’histoire des
prescriptions d’autant que, comme le rappelle l’auteure (p 48), les documents
d’accompagnements sont loin d’être systématiquement lus (la formation continue
en géographie ayant disparu depuis l’avènement des plans français et
mathématiques, les enseignants du premier degré ne sont pas guidés pour
s’approprier ces nouvelles approches).
Pourtant,
si l’expérience et la construction d’un futur citoyen sont au cœur des
finalités de la discipline, les possibilités de démarches initiées par le BO ne
sont pas « à la hauteur » (on s’en tient à « localiser », « décrire »…)
et ne semblent pas mobiliser le raisonnement…alors que des travaux de
didactique y invitent de manière cumulative.
On
trouve ensuite des développements sur l’histoire et les modalités de la sortie
scolaire : sortie leçon de choses (1880-1920), sortie démarche active
(1920-1945), sortie classes découvertes (après 1945) si l’on en croit les
recherches de Médéric Briand (2014). La sortie est rare au cycle 3 de nos
jours, peut-être davantage fréquente au cycle 2 en prétextant l’étude du local.
Mais il convient de mesurer si la sortie crée/augmente la motivation et
l’appropriation des connaissances…Il y a là une posture à adapter pour ne pas
juste faire une sortie magistrale transposée dehors.
Diverses
modalités sont justement citées : la classe paysage (Considère et Griselin
1997), les parcours iconographiques (Le Guern et Thémines, 2011), la pratique
artistique et le parcours sensible (Gaujal, 2016), les liens avec l’Education
au Développement Durable (travaux du laboratoire GEODE) mais également d’autres
ressources anglosaxonnes et belges (notamment les travaux de Christine Partoune
sur la pédagogie extramuros). La typologie proposée par le groupe « Pensée
spatiale » montrait également différentes façons de pratique la sortie
scolaire.
Dès lors, comment devenir concepteur de séances/séquences basées sur l’espace proche en mobilisant les savoirs d’expériences des élèves ? Déjà, il convient de traduire les BO et autres documents Eduscol en concepts clés. C’est ce que fait utilement le tableau 2 (p 73) à l’aide des concepts intégrateurs de Philippe Hertig (2004).
Et
même si la pratique de l’espace proche est encore fort dépendante de l’adulte à
cet âge-là (et qu’il faut tenir compte de cette réalité pour structurer son
enseignement du local en géographie), il est également important de noter que,
dans le cas de cette échelle locale, le rapport au savoir peut mettre l’élève
et l’enseignant sur un pied d’égalité voire même mettre l’élève en situation de
meilleure connaissance.
Je
l’avais noté également comme un levier pour susciter la motivation ou la relancer.
Une autre citation (p 101) résume l’objectif de la recherche qui est de « montrer à quelle condition un élève peut construire sa condition d’habitant en classe de géographie en permettant aux enseignants de constituer les conditions de possibilités d’enseigner à partir de l’espace proche pour construire des compétences de spatialité, une conscience géographique et développer pour leurs élèves et pour eux-mêmes un rapport géographique au monde.
2/
La deuxième partie pose le cadre méthodologique.
Une
analyse lexicométrique des programmes est proposée en premier lieu.
L’ingénierie
didactique est convoquée autour d’un appui sur la démarche d’investigation en
science avec l’hypothèse que la polyvalence de ces enseignants du premier degré
les aiderait à faire le transfert vers la géographie.
La
population ciblée concerne des classes de CM1 essentiellement localisées à
Toulouse et dans sa périphérie proche (quelques-unes se trouvent au-delà, en
zone rurale). A l’image de l’ensemble de la profession, les enseignants
interrogés sont à dominante des femmes, titulaires, quadragénaires.
Les
enseignants ont notamment eu à classer des finalités et les contenus potentiels
des sorties, sur leur identité bien sûr et sur la possibilité de poursuivre la
recherche plus avant pour qui était intéressé.
Les
élèves, quant à eux, ont dû dessiner ce qu’il y avait « autour de
l’école ». Pour analyser les productions, Elsa Filâtre a proposé des
listes de « descripteurs » dont certains à l’aspect
« qualitatif » (position, proportion, degré de précision), pouvant
être affinés en catégories (point de vue, situation, échelle, schématisation).
Les
dessins d’élèves ont été complétés par un questionnaire sur la maîtrise de
l’espace proche pour voir si les progrès dans ce domaine étaient corrélés à une
certaine autonomie dans le trajet domicile-école.
3/La
troisième partie expose différents résultats du point de vue de l’enseignant.
Ce
qui ressort nettement concernant la lecture des différentes séries de
programme, c’est que le programme de 2015 présente des similitudes avec celui
de la période 1977-1985 consacré à l’éveil. Les programmes de 2015 font bien
apparaitre les notions de quotidien, lieu, habiter, pratiquer et peu d’entités
géographiques. D’ailleurs, en regardant le graphique 7 (p 194) qui présente la
répartition des concepts par programmes, on note que l’espace, le territoire ou
encore le milieu sont très peu présents à la faveur de l’habiter.
L’étude
du local par le local pose des difficultés didactiques (choix des itinéraires,
des activités associées aux sorties et un assez basique trio administratif,
sécuritaire et météorologique) mais les enseignants plébiscitent cette échelle
en la comparant à d’autres.
Concernant la sociologie des enseignants, on remarque que les plus jeunes dans le métier sont assez enclins à sortir, en tous cas, en saisissent bien les enjeux mais ne sont pas toujours aidés par leur statut (postes fractionnés, remplaçants…). Et malgré certaines réticences chez les plus âgés, ce sont tout de même eux qui en font le plus proportionnellement aux débutants.
Le type de territoire (urbain, périurbain,
rural) ne semble pas jouer sur l’intérêt et la facile à organiser une sortie.
4/ Dans une quatrième partie, ce sont
des résultats du point de vue de la classe qui sont exposés.
La mise en activité des élèves autour du
dessin s’est déroulée sans trop de souci de difficulté ou de motivation. Cela a
été plus complexe pour les questions associées à cet exercice de production
graphique (leur recensement mais surtout leur classement qui a abouti à 5
catégories : localisation, évolution, acteurs, aménagements et divers).
S’en est suivi l’établissement d’une liste
d’outils pour effectuer les recherches permettant de répondre à ces questions.
Si les cartes peinent à entrer dans cette liste, les élèves convergent sur la
nécessité de mener l’enquête.
On note un intérêt et une facilité assez nets
sur l’usage de Geoportail (cette génération d’élèves reste friande du numérique…)
disons dans sa partie « visualisation de plans » mais tout le monde
n’a pas pu réaliser les plans du quartier pour bâtir un itinéraire. L’intérêt
envers le questionnement de professionnels (élus…) est également à souligner mais
long à mettre en œuvre.
La comparaison de deux dessins était une
solution pour éviter de recourir à l’écrit qui demeure une vraie barrière pour
certains. On voit nettement dans les seconds dessins que le point de vue
allocentrique prend le pas sur les vues de face (effet positif du travail
là-dessus), que les élèves intègrent davantage de schématisation, qu’ils
représentent une échelle plus étendue, qu’ils situent plus correctement les
éléments composant leur environnement proche.
Le local est un espace vécu par les élèves
mais pas forcément approprié, en cela son étude est pertinente.
Il est amusant de relever quelques questions
inattendues comme le fait de se demander s’il y a présence de Youtubeurs ou de
joueurs de tel jeu vidéo dans le quartier (pour savoir s’il y a une présence
physique réelle en plus du virtuel). Des questions qui gênent les enseignants
mais qui pourtant ont du sens géographiquement. Ont été relevées également des
questions liées à la peur de certains bâtiments/espaces (hantés, abandonnés…).
5/
La cinquième partie se focalise sur les résultats concernant les élèves.
On
y lit l’analyse détaillée des dessins et des descripteurs : en premier on
trouve l’école, puis les routes, les arbres, les maisons, des éléments de signalisation…du
« fonctionnel » en fait…En catégorisant, l’éducation recouvre 49 % du
corpus, le déplacement est à 23 % et l’habitat à 22 %...presque la totalité sur
ces trois premiers éléments. Et donc le « personnel » et les éléments
habituellement enfantins (jeux, animaux….) n’y sont pas. Et tout ou presque y
est statique (89 %).
Le
nombre de descripteurs augmente légèrement entre CE2 et CM2 de façon logique et
diffère parfois du simple au double selon les écoles sans qu’il y ait ici
d’explication nette.
Les
choses se confirment en regardant ce qui est :
- central sur le
dessin : là encore l’école domine, les rues/routes ensuite,
- en forte proportion (les mêmes éléments sont relevés),
- le niveau de précision : élevé pour l’école toujours puis les maisons, les commerces proches, les équipements sportifs…ici, il y a davantage de dispersion…
L’école est encore davantage rendue centrale
avec la présence du jeu de la séparation, ouverture/fermeture. On note une forte
importance de la sécurité : passages piéton, signalisation…notamment en
zone urbaine. Les pratiques de déplacement des élèves sont encore fortement
marquées par ce discours de construction des règles de sécurité.
Au final, les dessins reflètent assez
fidèlement les territoires vécus par les enfants. L’auteure en arrive à une
typologie en cinq catégories : le photographe, le cartographe, le piéton,
le pisteur et l’explorateur.
Conclusion
Pour
ma part, j’ai particulièrement apprécié ce travail. Il s’agit là d’une belle
thèse, au plan simple et la plume on ne peut plus limpide, sans jargon inutile
avec un bel équilibre entre des résultats du point de vue des enseignants et du
point de vue des élèves. Sur la forme, les figures sont claires et variées.
Parfois on trouve une stratégie de présentation d’un phénomène en deux figures
simples se rencontrant ensuite au sein d’une troisième pour mieux en saisir les
imbrications. Les encarts, pas trop nombreux, avec des extraits d’entretiens
d’élèves ou d’enseignants dynamisent bien le propos. Un vrai plaidoyer pour la
sortie scolaire qui apporte une réelle plus-value dans la structuration de la
spatialité des individus. Également une vraie stratégie pour faire de la
polyvalence une force puisque, comme le dit l’auteure, « l’ingénierie a
fonctionné comme une autorisation à faire des liens entre les matrices
disciplinaires de la polyvalence ». Espérons maintenant que quelques
passeurs pourront s’emparer de ces contenus pour innerver la formation des
professeurs des écoles qui a toujours un besoin criant de contenus et de
méthodes.
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