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DE LA RECHERCHE A LA FORMATION

Nous avons créé ce blog dans l'intention de faire connaître les travaux de recherche en didactique de la géographie. Notre objectif est également de participer au renouveau de cette discipline, du point de vue de ses méthodes, de ses contenus et de ses outils. Plus globalement nous espérons que ce site permettra d'alimenter les débats et les réflexions sur l'enseignement de l'histoire-géographie, de l'école à l'université. (voir notre manifeste)

lundi 5 décembre 2016

Le raisonnement géographique au prisme du programme des classes de lycée général




Sophie Gaujal, docteure en didactique de la géographie, agrégée d’histoire-géographie

Vouloir définir le raisonnement géographique à partir des programmes se heurte à un obstacle : la perception qu'en ont les rédacteurs n'est en effet jamais explicitée, et est par ailleurs mouvante, évoluant d'un programme à l'autre. Mon analyse sera par conséquent découpée en deux temps. Dans la première, je tenterai de définir des permanences. Dans la deuxième, de faire apparaître des ruptures, des évolutions d'un programme à l'autre, d'un niveau à l'autre. Pour base de mon corpus, je me suis appuyée sur les programmes de 1995 (BO n°12, 29 juin 1995), 2002 (BO Hors Série n°6, 29 août 2002 ; BO Hors Série n°7, 3 octobre 2002), 2010 (BO spécial n°4, 29 avril 2010 ; BO spécial n°9, 30 septembre 2010 ; BO spécial n°8, 13 octobre 2011, BO n°8, 21 février 2013), avec quelques plus rares incursions dans les documents d’accompagnement au programme, lorsque ceux-ci existaient, et lorsqu’ils ne réservaient pas l’essentiel de leur contenu à des mises au point scientifique.
  
Le raisonnement géographique dans les programmes de lycée : permanences

Quels que soient les programmes consultés, le raisonnement y est abordé sous deux angles, d'abord les objectifs assignés à l’enseignement de la géographie en lycée, la mise en œuvre ensuite.
En ce qui concerne les objectifs, ils se décomposent là encore en deux catégories. D'une part des objectifs qui ont trait au raisonnement en géographie, et d'autre part au raisonnement géographique. 

Par raisonnement en géographie, il faut comprendre un type de raisonnement qu'on mobilise en cours de géographie, mais qui ne serait pas spécifique à la géographie, car il n'a pas trait au spatial. Deux types de raisonnement sont ainsi identifiés. 
La problématisation tout d'abord, et ce en nette rupture par rapport aux programmes de collège : « l’approche doit être différente (sous-entendu du collège) : en intégrant les renouvellements elle est délibérément problématisée ; la géographie n’enseigne pas l’immuable, mais les problèmes du temps présent » (BO n°12, 29 juin 1995). Ainsi, alors que le collège prépare à la problématisation, en fournissant aux élèves des repères spatiaux, des notions, des savoirs-faire ainsi que l'apprentissage de la pratique de l'argumentation, l'approche en lycée serait plus synthétique. Les programmes de 2002 et 2010 (qui ont la même introduction) ne le disent pas autrement : « au collège, les élèves ont acquis des connaissances, des notions, des repères chronologiques et spatiaux, des méthodes. Ils ont pris l’habitude des démarches intellectuelles : apprendre à identifier des documents, à argumenter. Il ne s’agit pas au lycée de reprendre à l’identique le parcours chronologique et spatial du collège en l’étoffant, mais de mettre en œuvre une approche synthétique et problématisée » après avoir acquis « les premières bases du raisonnement géographique » (programmes de 2002 et 2010). Le programme de lycée se place donc ici en complémentarité des programmes de collège.

C’est le cas également de l’esprit critique, « au centre des pratiques pédagogiques » (BO n°12, 29 juin 1995) ; il s’agit de former des citoyens, « de les préparer à l’action » en leur faisant acquérir « une vision dynamique et critique du monde »  (BO n°12, 29 juin 1995).
A ces objectifs généraux, qu'on pourrait retrouver dans d'autres disciplines, et qui sont d'ailleurs partagés ici avec l'histoire, s'ajoutent des objectifs plus spécifiquement liés à la géographie, pour y mettre en œuvre un raisonnement proprement géographique.
Deux préoccupations apparaissent, l’une en direction de la science de référence, la géographie, l’autre en direction des pratiques sociales. Dans un cas, il s’agit de former les élèves aux problématiques scientifiques et à leur épistémologie, et qu’ils comprennent que la science est une construction et qu’elle fait l’objet de débats. Dans l’autre cas il s’agit qu’ils comprennent, en tant que futurs citoyens, que l’espace est un construit, afin qu’ils puissent plus tard agir dessus. Cela fait de la notion « d’organisation de l’espace » la notion au cœur de l’ensemble du programme, autour d’une même et unique problématique, « celle de l’appropriation et la gestion de l’espace par les sociétés » (programmes 2002 et 2008
Deuxième point d’entrée des programmes pour mieux comprendre ce qu’est le raisonnement géographique, les mises en œuvre qui sont recommandées aux enseignants. L’objectif est qu’ils apprennent aux élèves « à hiérarchiser les faits et à critiquer les relations trop rapides de causalité » ((BO n°12, 29 juin 1995). Si le terme de « systémique » n’est pas encore prononcé en 1995, c’est désormais le cas en 2002. Pour mettre en œuvre cette démarche, l’étude de documents est recommandée. L’objectif n’est cependant pas de reproduire les méthodes de l’enseignement supérieur mais seulement d’aider l’élève à « formuler des conclusions porteuses de sens » et à en faire « une étape de la construction du discours géographique » (BO n°12, 29 juin 1995). Autre support du raisonnement géographique, l’étude de cas, qui apparait dans les programmes en 2002, car elles « mettent en place les problématiques nécessaires à l'appropriation des savoirs et constituent l'apprentissage du raisonnement géographique. » (2002)
Finalement, que comprendre du raisonnement géographique tel qu’il nous est proposé dans les différents programmes de lycée qui se sont succédés depuis 1995 ? Une constante, celle que le lycée se construit en complémentarité par rapport au collège, pour permettre aux élèves une approche problématisée ; mais aussi des évolutions, en fonction du contexte. 

Des évolutions dans la définition du raisonnement, en fonction du contexte

On voit ainsi apparaître dans les programmes de 2002 et 2010 une préoccupation croissante pour l’intégration des TIC dans l’enseignement, « tant comme supports documentaires qu’outils de production des élèves, en assurant l’implication des élèves, l’actualisation des informations et l’efficacité de leur transmission. » (2002, 2010).
Autre élément liée au contexte, l’apparition dans les programmes de 2010 d’une liste de compétences, peu cohérente avec le reste du texte, en se focalisant sur des tâches simples et décomposées, là où le programme appelle à une approche globale et systémique. Il s’agit, sans doute, de montrer la continuité avec le socle de compétence introduit en collège deux années auparavant, un feuilletage de finalités auquel les programmes nous ont habitués depuis longtemps.

Autre préoccupation encore dont on voit l’évolution dans les programmes, la place donnée au concret. Elle émerge dès les années 1995 avec l’importance accordée à l’étude du document, qui permet de mettre en place en classe une « géographie d’atelier » (J.P.Chevalier, 2008). Elle se poursuit en 2002 avec l’étude de cas, en alternance avec la contextualisation, « une mise en perspective à plus petite échelle » (2002) : à l’étude de cas le soin d’apporter une dimension concrète, avec l’étude de la grande échelle, à la contextualisation le soin de revenir à l’abstraction. En 2010, les programmes de Première confirment cet intérêt apporté au concret, et en précise la modalité : « très rénové dans sa conception, son organisation et des problématiques, […] il privilégie les approches problématisées, les démarches de découverte, de questionnement et de recherche». On approche là d’un raisonnement scientifique, où alternent hypothèse, questions de recherche et expérimentations. Il est à rapprocher d’une autre démarche qui est recommandée par les accompagnements au programme, la sortie sur le terrain, qui en avait disparu depuis les années 1980, et qui accompagne une question nouvelle, celle des territoires de proximité.

Conclusion

Pour conclure, ce rapide tour d’horizon des programmes de lycée nous permet d’avancer dans notre définition du raisonnement géographique : sa mise en œuvre est progressive, d’un cycle à l’autre ; en lycée, il repose sur la problématisation ; pour s’articuler avec le raisonnement naturel, il nécessiterait de jouer entre l’abstrait et le concret, notamment en variant les échelles (à la grande échelle le concret, à la petite l’abstrait) et en favorisant des démarches expérimentales du type sortie de terrain et « démarches de découvertes ». Cette lecture des programmes scolaires fait enfin ressortir la question des finalités attribuées à ce raisonnement, à l’articulation entre finalités scientifiques et civiques, qui rendent ses contours difficiles à cerner en géographie scolaire…

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